Napoléon
ce temps, enveloppé dans son vieux manteau bleu de Marengo, assis dans son fauteuil de campagne, l’Empereur s’est installé dans les dunes, qui existaient alors près de la chapelle de Notre-Dame du Bon-Voyage, où les grognards ont allumé le feu de leur bivouac {44} . En attendant son dîner, il bavarde avec les passants. À défaut du maire de Cannes, celui d’une commune voisine – on ne sait laquelle – s’approche de Napoléon :
— Nous commencions à devenir heureux et tranquilles, vous allez tout troubler.
« Je ne saurais exprimer combien ce propos me remua, ni le mal qu’il me fit... » avouera Napoléon.
Quelques instants plus tard, l’Empereur s’entretient avec le prince de Monaco – duc de Valentinois – ancien premier écuyer de l’Impératrice Joséphine, dont Cambronne a cru devoir interrompre le voyage vers sa principauté. Il garde le chapeau à la main tandis que Napoléon l’interroge sur ses sentiments. Le futur Honoré V lui dépeint « tout le péril d’une semblable expédition. » Avant de le laisser repartir, l’Empereur lui demande en riant :
— Venez-vous avec nous, Monaco ?
— Mais, sire, je vais chez moi.
— Et moi aussi !
Pour cela, il faut quitter la grand-route d’Aix à Nice et s’engager à droite, juste en face de la Chapelle, sur le chemin de la montagne. C’est, en effet, par les Alpes que l’on gagnera Grenoble et Lyon {45} . L’Empereur a pris cette décision voici déjà plusieurs jours. Il garde présente à la mémoire l’atroce traversée de la Provence royaliste à la fin du mois d’avril 1814, ces insultes, ces injures, cette grêle de pierres lancées contre sa berline, son exécution en effigie à laquelle il a été obligé d’assister...
En attendant l’heure du départ, Napoléon s’assied dans son fauteuil pliant et, les jambes allongées sur une chaise sous un couvre-pied, s’assoupit durant quelques instants...
Les Elbois – il est alors un peu plus de cinq heures du matin – se dirigent maintenant vers Grasse. Cambronne, toujours en avant-garde, n’a pas de chance : le maire de Grasse – le marquis de Gourdon – est, lui aussi, un ardent royaliste.
— Au nom de quel souverain faites-vous des réquisitions ? demande-t-il.
— Au nom de l’empereur Napoléon.
— Nous avons notre souverain et nous l’aimons.
— Monsieur le maire, reprend Cambronne, je ne viens pas pour faire de la politique avec vous, mais pour vous demander des rations parce que ma colonne sera ici dans un instant.
Le maire s’exécute. Mais l’Empereur, apprenant à Mouans l’agitation qui règne dans Grasse, préfère ne pas y pénétrer. Il contourne le bourg, et fait halte sur le haut plateau de Roccavignon, aujourd’hui le plateau Napoléon. Le grand chêne sous lequel il mange un poulet rôti ombrage toujours cette manière de terrasse d’où l’on découvre un admirable panorama, de Nice au Mont-Vinaigre. L’Empereur, ce matin-là, aurait vu, très au loin derrière le cap d’Antibes, les sommets des montagnes de Corse, éclairées par le soleil matinal, et semblant « flotter dans l’air ».
Tandis que l’on met en perce quelques tonneaux de vin pour la troupe, quelqu’un lui apporte des violettes, ces violettes qui étaient devenues le signe de ralliement des Bonapartistes durant la Première Restauration. Une légende prétendait, en effet, que l’Empereur avait promis de revenir « à l’époque des violettes... »
Il n’y a point de chemin entre Grasse et Digne, où l’on trouvera la route de Grenoble. Il faut donc abandonner « l’artillerie » – quatre pièces – et, en colonne par un, suivre des sentiers de montagne couverts de neige. Les lanciers – démontés – portent leurs selles et leurs brides sur les épaules. Par un froid intense, l’Empereur s’avance dans la neige, soutenu par le colonel Raoul. Marchand suit avec le jeune Ventini, l’officier d’ordonnance. Les bagages sont loin derrière eux. Après une halte, à Saint-Vallier-de-Thiey, sous un ormeau, l’Empereur gravit la dure montée qui le conduit à Escragnolles, au coeur d’un cirque rocheux d’une sauvage beauté. Le curé du bourg – l’abbé Chirio – lui apporte deux oeufs et prononce quelques paroles en termes si choisis que Napoléon s’exclame :
— C’est une mitre qui convient à ce curé !
Et l’on continue à monter vers le col de Valferrière. La nuit est tombée depuis longtemps
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