Napoléon
cynique, d’un sang-froid imperturbable dans un besoin immodéré de mouvement et d’importance, et d’un parti pris de tout faire pour réussir... »
On ne saurait mieux dire. Et, M. le duc d’Otrante n’a pour l’instant qu’une idée en tête : nuire le plus possible à Napoléon.
— Cet homme, dira-t-il, est revenu de l’île d’Elbe plus fou qu’il n’était parti. Son affaire est réglée, il n’en a pas pour quatre mois !
Il ne se trompait guère que d’un mois... sous-estimant peut-être la valeur de ses intrigues ! Il propose d’abord à l’Empereur – qui se rallie à ce point de vue – d’arrêter l’insurrection de l’Ouest en palabrant avec les principaux meneurs. En réalité l’ex-régicide, devenu royaliste par intérêt, a son idée sur la question. Il l’explique sans ambages au comte Malartic, chef d’état-major de « l’armée du Maine » :
— Cette insurrection prématurée est nuisible à la cause même qu’elle veut servir, car elle va autoriser Bonaparte à prendre des mesures violentes. On ravagera l’Ouest, on armera la canaille, on mettra à la disposition de l’Empereur des forces qui, après avoir réduit les Vendéens, lui serviront à prolonger la résistance contre l’étranger. Comprenez bien que le rétablissement de la monarchie ne dépend pas d’une guerre dans l’Ouest. C’est dans le Nord que le sort de la France va se décider !
Mais les royalistes forment un État dans l’État et n’ont cette fois aucune raison de se laisser assimiler. Puisque l’Empereur a sans cesse depuis son retour le mot « liberté » aux lèvres, les partisans de Louis XVIII – même les petites filles ! – se transforment en agents provocateurs. La future comtesse Dasch, alors pensionnaire d’un couvent, se posait avec ses petites camarades « en martyres et en combattantes ». « On voulut nous faire quitter nos cocardes blanches, racontera-t-elle ; nous déclarâmes que nous ne les quitterions pas. Nous en avions toutes d’immenses sur nos chapeaux ; elles étaient en papier. La mienne raffinait encore ; c’était une grande feuille entière... Dès que nous apercevions un uniforme, nous nous mettions à crier Vive le Roi ! et à chanter Vive Henri IV !... »
Les grandes personnes sont plus cruelles et, en attendant de poignarder l’Usurpateur, on l’attaque de toutes les manières. Un placard « séditieux » est affiché à Fontainebleau : « Napoléon, par la grâce du diable et les constitutions de l’enfer, empereur des Français, avons décrété et décrétons ce qui suit : Art. I er . Il me sera fourni trois cent mille victimes par an. Art. II. Selon les circonstances, je ferai monter ce nombre jusqu’à trois millions. Art. III. Toutes ces victimes seront conduites en poste à la boucherie. »
Il est certain que cette ironie sanglante porte plus que les injures ! Par ailleurs les royalistes ne l’ignorent point : c’est le fils de la Révolution qui a débarqué au golfe Jouan, et l’exécration des partisans de Louis XVIII s’acharne contre M. de Buonaparte ! L’Empereur se croit revenu vingt années en arrière et il le constate amèrement :
— Je retrouve la haine des prêtres et de la noblesse aussi universelle et aussi violente qu’au commencement de la Révolution.
Aussi, Napoléon n’a-t-il pas le choix. Il lui faut jouer la carte qui lui est en quelque sorte imposée et il suffit, pour s’en convaincre, de relire les textes de ses premières proclamations :
— Je viens pour délivrer la France des émigrés... Je suis issu de la Révolution... Je suis venu pour tirer les Français de l’esclavage où les prêtres et les nobles voulaient les plonger... Qu’ils prennent garde ! Je les lanternerai...
Il avait besoin, selon l’expression de Guizot, « que par des noms propres, le drapeau de la Révolution flottât sur l’Empire ». C’est pourquoi il fait appel à Carnot « républicain sincère et honnête homme » et lui offre le portefeuille de l’Intérieur. Décision plus heureuse que celle qui lui avait fait introduire Fouché dans le ministère...
Dès le 11 avril, le Journal de l’Empire invite « les bons citoyens à faire un noble usage de leurs loisirs en faisant parvenir la vérité à ceux qui environnent le monarque ». Les réponses sont significatives :
« Pas de faiblesse ! elle nous a perdus l’an dernier. Qu’on agisse comme le Comité de salut
Weitere Kostenlose Bücher