Napoléon
sanction de la gloire.
Le texte de l’Acte additionnel – la Charte de Louis XVIII remaniée à la sauce libérale – est soumis à l’Empereur qui blêmit de colère lorsqu’on lui propose – vrai joug constitutionnel – la suppression de la confiscation des biens :
— On me pousse, s’écrie-t-il, dans une voie qui n’est pas la mienne ! On m’affaiblit, on m’enchaîne. La France me cherche et ne me trouve plus. L’opinion était excellente, elle est exécrable. La France se demande ce qu’est devenu le vieux bras de l’Empereur, ce bras dont elle a besoin pour dompter l’Europe. Que me parle-t-on de bonté, de justice abstraite, de lois naturelles ! La première loi, c’est la nécessité ; la première justice, c’est le salut public. On veut que des hommes que j’ai comblés de biens s’en servent pour conspirer contre moi à l’étranger. Cela ne peut pas être, cela ne sera pas. Quand la paix sera faite, nous verrons. A chaque jour, sa peine, à chaque circonstance, sa loi, à chacun sa nature. La mienne n’est pas d’être un ange. Je le répète, il faut qu’on retrouve, il faut qu’on revoie le vieux bras de l’Empereur.
Devant ce bras levé – et menaçant – Benjamin Constant s’incline. On passe sous silence la question dans le texte définitif qui prévoit désormais un empereur flanqué de deux chambres – la Chambre des Pairs et la Chambre des Représentants – aux prérogatives copiées sur celles octroyées par Louis XVIII. La presse sera libre, la censure supprimée, la dynastie impériale légitime, et, enfin, la Benjamine – ainsi qu’on appellera la nouvelle constitution – abroge à jamais la dîme et les anciens privilèges.
Napoléon a perdu son étoile. La Benjamine est critiquée. Les libéraux estiment que l’Empereur n’a pas été assez loin dans le sens de leurs désirs. N’a-t-il pas gardé pour lui le droit de nommer les pairs et les magistrats ? Ne possède-t-il pas également celui de proposer les lois ? La confiance, surtout, ne règne pas. On se méfie à juste titre ! Napoléon, qui a gouverné sans contrainte durant près de quinze années, n’admettra jamais d’être brimé.
— Eh bien, constate Napoléon à Benjamin Constant, la Constitution ne réussit pas.
— Sire, c’est qu’on n’y croit guère. Faites-y croire en l’exécutant.
— Sans qu’elle soit acceptée ! Ils diront que je me moque du peuple.
— Quand le peuple verra qu’il est libre, qu’il a des représentants, que vous déposez la dictature, il sentira bien que ce n’est pas se moquer de lui.
— Au fond, reprend l’Empereur après avoir réfléchi, il y a là un avantage. En me voyant agir ainsi, on me croira plus sûr de ma force. C’est bon à prouver.
Lors du plébiscite de l’Acte additionnel et de la « réintronisation » de Napoléon, les abstentionnistes sont plus nombreux que les votants ! Il semble que les chiffres exacts soient ceux donnés par Fleury de Chaboulon : un million cinq cent trente-deux mille cinq cent vingt-sept votes affirmatifs contre quatre mille huit cent deux négatifs – sur plus de cinq millions d’électeurs, c’est-à-dire de « citoyens actifs ».
Napoléon doit se résigner, à la fin du mois d’avril, à convoquer les Chambres. La nouvelle assemblée des représentants est élue le mois suivant. Elle compte, sur six cent vingt-neuf membres, quatre-vingts bonapartistes, trente ou quarante jacobins et cinq cents libéraux. Sa première séance a lieu le 3 juin. À la grande fureur de l’Empereur, Lanjuinais – celui qui, en avril 1814, a signé la proposition de déchéance – est élu président. Napoléon souhaitait que l’on nommât à cette place son frère Lucien, – le « républicain » Lucien – qui vient de se rallier à son malheureux aîné, alors que du temps de la puissance de l’Empereur il vivait à Rome, loin du « tyran ».
— On a voulu m’offenser en choisissant un ennemi ! s’exclame Napoléon.
Mais, de nouveau, le dictateur montre le bout de l’oreille :
— S’il en est ainsi, je dissoudrai cette Assemblée, j’en appellerai à la France qui ne connaît que moi, qui, pour sa défense, n’a confiance qu’en moi et qui ne tient pas le moindre compte de ces inconnus qui, à eux tous, ne peuvent rien pour elle. Ces hommes qui ne veulent pas des Bourbons, qui seraient désolés pour leurs places, pour leurs biens, pour leurs opinions, de les voir
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