Napoléon
ouverte aux souverains, et je suis le premier à y descendre. »
— Ni paix, ni trêves, plus de réconciliation avec cet homme, répondit le tsar.
Napoléon avait encore fait savoir à Londres qu’il était « disposé à recevoir du gouvernement anglais toute proposition qui assurerait une paix solide et durable ». Il misait en effet sur la Grande-Bretagne, et il est bien certain que, dans ce concert où la haine des pays longtemps en servitude se donnait libre cours, c’est de l’Angleterre que viendront les paroles les plus sages. Le gouvernement britannique n’avait pas daigné répondre aux avances du revenant de l’île d’Elbe, le Times avait traité Napoléon de « Corse sanguinaire » et fustigé « ses compagnons de scélératesse » qui avaient osé « appeler ce brigand, ce monstre chargé de tant de crimes et d’horreurs ». Par contre, l’opposition déclarait aux Communes :
— Bonaparte a été reçu, en France, comme un libérateur. Les Bourbons ont perdu leur trône par leurs propres fautes. Ce serait une mesure monstrueuse de faire la guerre à une nation pour lui imposer un gouvernement dont elle ne veut pas !
Pour le Morning Chronicle, il n’était « d’aucune importance qu’un Bonaparte ou un Bourbon soit sur le trône de France ». Et le journal se permettait de poser ces questions à lord Castlereagh : « Le traité de Fontainebleau a-t-il été fidèlement exécuté par les Alliés ? A-t-on payé à Bonaparte et à sa famille une part quelconque de la pension qui leur avait été garantie ? N’a-t-on pas eu le projet de le déporter ?... Les patriotes anglais pensent que c’est moins contre Bonaparte que contre l’esprit de liberté que s’unissent les potentats du continent. »
Prise de position que Napoléon n’ignorait point et qui, assurément, devait influencer l’Empereur trois mois plus tard lorsqu’il décida de venir s’asseoir « au foyer du peuple britannique ».
Semblant faire écho au Times, l’opinion royaliste française se déchaîne. Dès le 24 mars, Napoléon a aboli la censure, mais les journaux n’en ont pas moins dû accueillir en leur sein des « rédacteurs-censeurs » désignés par le gouvernement. Ces contrôleurs plus ou moins officiels caviarderont d’ailleurs les écrits antigouvernementaux avec mesure. Cette demi-liberté fera éclore, dès l’arrivée à Paris de « l’évadé de l’île d’Elbe », une profusion de libelles, de pamphlets et même de gazettes clandestines qui reprendront sous des formes différentes cette déclaration du Journal du Lys, que l’on se passait sous le manteau : « Le monstre qui nous gouverne n’a pour lui que la canaille... Bonaparte est rentré à la tête d’une troupe de misérables... Il est poursuivi par la haine et le mépris de tous les Français... »
Il fallait s’y attendre : l’Ouest royaliste entre bientôt en insurrection et des troubles assez graves se succéderont jusqu’à la fin des Cent-Jours. Fouché, revenu au ministère de la Police, ne fera rien pour découvrir les coupables. L’insurrection servait trop bien ses desseins ! Il jouait la carte, sinon de la défaite impériale, du moins celle de la faillite napoléonienne. Si une seconde Restauration s’avérait difficile, le duc d’Otrante était en train de préparer une solution de rechange : il s’était mis, en effet, en contact avec Metternich qui – l’affaire est assez obscure – dans le cas où Napoléon abdiquerait avant que ne tonne le premier coup de canon, aurait envisagé une régence de Marie-Louise. Fouché, ayant appris par Réal que l’Empereur était au courant de ses ténébreuses machinations, prit les devants et, au beau milieu d’une conversation, joua la comédie de l’homme absorbé. Se frappant le front, il s’écria :
— Ah ! Sire, j’avais oublié de vous dire que j’avais reçu un billet de M. de Metternich. J’ai tant de choses plus importantes qui me préoccupent ! Puis son employé ne m’avait pas remis la poudre pour faire reparaître l’écriture, et je croyais à une mystification. Enfin, je vous l’apporte.
L’Empereur explosa :
— Vous êtes un traître, Fouché, je devrais vous faire pendre !
— Sire, répliqua paisiblement le ministre, je ne suis pas de l’avis de Votre Majesté.
« Nul homme plus que Fouché, dira Guizot, ne m’a plus complètement donné l’idée d’une indifférence hardie, ironique,
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