Napoléon
anciens fidèles se présentent aux Tuileries – certains avec quelque retard.
— Vous voilà ! monsieur le général Rapp, lance l’Empereur à son ancien compagnon d’armes. Vous vous êtes bien fait désirer. D’où venez-vous ?
— D’Ecouen, Sire, où j’ai laissé mes troupes à la disposition du ministre de la Guerre.
— Youliez-vous réellement vous battre contre moi ?
— Oui, Sire, répond Rapp paisiblement.
— Diable !
— La résolution était obligée.
— F... ! s’exclame Napoléon. Je savais bien que vous étiez devant moi. Si l’on se fût battu, j’aurais été vous chercher sur le champ de bataille. Je vous aurais fait voir la tête de Méduse. Auriez-vous osé tirer sur moi ?
— Sans doute. Mon devoir...
— C’est trop fort ! Mais les soldats ne vous auraient pas obéi. Ils m’avaient conservé plus d’affection. Si d’ailleurs vous aviez tiré un seul coup, vos paysans d’Alsace vous auraient lapidé.
— Vous conviendrez, Sire, explique alors Rapp posément, que la position était pénible. Vous abdiquez, vous partez, vous nous engagez à servir le roi, vous revenez... Toute la puissance des souvenirs ne peut nous faire illusion.
— Comment cela ? Que voulez-vous dire ?
De nouveau il soutient l’impossible fable :
— Croyez-vous que je sois revenu sans alliance, sans accord ?... D’ailleurs, mon système est changé. Plus de guerres, plus de conquêtes. Je veux régner en paix, et faire le bonheur de mes sujets.
— Vous le dites. Mais vos antichambres sont déjà pleines de ces complaisants qui ont toujours flatté votre penchant pour les armes.
— Bah ! Bah ! L’expérience... Alliez-vous souvent aux Tuileries ?
— Quelquefois, Sire.
— Comment vous traitaient ces gens-là ?
— Je n’ai pas à m’en plaindre.
— Le roi paraît vous avoir bien reçu à votre retour de Russie.
— Parfaitement, Sire.
— Sans doute. Cajolé d’abord, mis ensuite à la porte. Voilà ce qui vous attendait tous ! Car, enfin, vous n’étiez pas leurs hommes. Vous ne pouviez leur convenir. Il faut d’autres titres, d’autres droits pour leur plaire.
Rapp essaye encore de donner à l’Empereur des arguments :
— Le roi a débarrassé la France des Alliés.
— C’est bien, reconnaît Napoléon, mais à quel prix ! Et ses engagements, les a-t-il tenus ? C’est l’insolence des nobles et des prêtres qui m’a fait quitter l’île d’Elbe. J’aurais pu revenir avec trois millions de paysans qui accouraient pour se plaindre et m’offrir leurs services. Mais j’étais sûr de ne pas trouver de résistance devant Paris. Les Bourbons sont bien heureux que je sois revenu. Sans moi, ils auraient fini par une Révolution épouvantable. Avez-vous vu le pamphlet de Chateaubriand qui ne m’accorde pas même du courage sur le champ de bataille ? Ne m’avez-vous pas vu quelquefois au feu ? Suis-je un lâche ?
— J’ai partagé l’indignation qu’ont ressentie tous les honnêtes gens d’une accusation aussi injuste qu’elle est ignoble.
— Avez-vous vu quelquefois le duc d’Orléans ?
— Je ne l’ai vu qu’une fois.
— C’est celui-là qui a de l’esprit de conduite et du tact ! Les autres sont mal entourés, mal conseillés. Ils ne m’aiment pas. Ils vont être plus furieux que jamais. Il y a de quoi. Je suis arrivé sans coup férir. C’est maintenant qu’ils vont crier à l’ambitieux. C’est là l’éternel reproche ; ils ne savent dire autre chose.
— Ils ne sont pas les seuls qui vous accusent d’ambition.
— Comment... Suis-je ambitieux, moi ? Est-on gros comme moi quand on a de l’ambition ?
Il n’a pas toujours le courage de plaisanter. Certaines volte-face lui ont fait mal. Particulièrement celle de Marmont à qui Louis XVIII avait demandé :
— Vous avez été blessé en Espagne et vous avez pensé perdre un bras ?
— Oui, sire, avait répondu le maréchal 1 ; mais je l’ai retrouvé pour le service de Votre Majesté...
Il est indispensable tout d’abord de trouver de l’argent ! Les caisses impériales vont se remplir d’une manière bien inattendue : grâce à l’Angleterre et à la Hollande.
— Au retour de l’île d’Elbe, racontera l’Empereur à Las Cases, des maisons de Londres et d’Amsterdam m’ont ouvert secrètement un crédit de quatre-vingts à cent millions, au simple taux de huit pour cent.
Pour un banquier, le coffre-fort
Weitere Kostenlose Bücher