Napoléon
boucherie, la charge battait de tous côtés ; ce n’était qu’un cri : « En avant ! »
— Ah ! s’exclame l’Empereur, si j’avais quatre lieutenants comme Gérard, les Prussiens seraient perdus...
À trois heures – une demi-heure avant le début de la bataille –, Soult qui a succédé à Berthier a envoyé à Ney ce message : « Je vous ai écrit, il y a une heure, que l’Empereur devait attaquer dans la position qu’il a prise entre les villages de Saint-Amand et de Brye. En ce moment, l’engagement est très prononcé. Sa. Majesté me charge de vous dire que vous devez manoeuvrer sur le champ de bataille de manière à envelopper la droite de l’ennemi et à tomber à bras raccourcis sur ses derrières. Cette armée est perdue si vous agissez vigoureusement. Le sort de la France est entre vos mains. »
Mais Ney, « frappé de paralysie », se refuse à « manoeuvrer sur le champ de bataille »... Il faudra que Napoléon lui-même prenne la tête de la Vieille Garde, pour que Ligny soit emporté. Blücher, renversé sous son cheval, n’échappe à la capture que par miracle. Pour se remettre de son accident, il trempe ses jambes dans de l’eau-de-vie – et en boit, en passant, une bonne rasade... À la suite de ce traitement énergique, il peut bientôt remonter à cheval, mais les Prussiens doivent précipitamment se replier. Leurs uniformes en lambeaux, ils sont méconnaissables : « La forte chaleur, la poudre, la sueur et la boue s’étaient mélangées pour former une croûte épaisse qui les faisait ressembler à des mulâtres. »
Ils ont reçu « une sacrée bonne fessée », dira Wellington. Pas si bonne puisque la carence de Ney a empêché Napoléon d’achever les vaincus. Le maréchal s’est borné à contenir les Anglais aux Quatre-Bras, c’est tout...
Quant à l’Empereur, il décide de passer la nuit à Fleurus. « La faute que j’ai faite, dira-t-il plus tard, c’est d’avoir couché à Fleurus... La bataille contre Waterloo aurait eu lieu vingt-quatre heures plus tôt. Wellington et Blücher ne se seraient pas rejoints... »
Il devait cent fois refaire la bataille...
Le samedi 17 juin, en se réveillant à Fleurus, au château du baron de Zualart, – le château de la Paix, près du moulin Naveau — Napoléon prend la décision de se rendre lui-même aux Quatre-Bras. Les Prussiens ne sont-ils pas en déroute ? Durant au moins trois jours, ils ne pourront participer à aucun combat ! Du moins, l’Empereur le pense-t-il... Aussi, après être passé devant les bivouacs de Ligny et de Saint-Amand – il est onze heures du matin – ordonne-t-il à Grouchy :
— Pendant que je vais marcher aux Anglais, vous allez vous mettre à la poursuite des Prussiens. Vous avez sous vos ordres les corps de Gérard et de Vandamme, la division Teste, les corps de cavalerie Pajol, Exelmans et Milhaud, en tout trente-trois mille hommes.
Les trente-trois mille hommes qui manqueront le lendemain à Napoléon pour faire de Waterloo une victoire française.
En arrivant, vers une heure et demie, devant les Quatre-Bras, – la grosse ferme à l’angle de l’un des « bras » existe toujours — Napoléon apprend par une vivandière anglaise, faite prisonnière, que Wellington, ayant eu connaissance de la défaite du « vieux » – c’est Blücher que le général anglais a surnommé ainsi – a rétrogradé pour permettre aux Prussiens de le rejoindre... L’Anglais s’en est allé aussitôt prendre position vers le mont Saint-Jean. Napoléon le fait poursuivre et la cavalerie française talonne l’arrière-garde anglaise commandée par le général Uxbridge, qui s’époumone :
— Plus vite ! plus vite ! Pour l’amour de Dieu ! Galopez ou vous êtes tous pris !
Sur sa jument blanche Désirée, l’Empereur galope lui aussi sous une averse intense. Sa redingote grise est trempée. Le soir venu, la pluie – une pluie torrentielle, intarissable, effroyable – redouble de violence et se met à tomber en rafales. Le ciel semble vouloir noyer la folie des hommes. Les soldats et les chevaux s’enfoncent dans la boue jusqu’aux jambes. Les adversaires s’arrêtent. La poursuite se termine au pied d’une faible colline baptisée mont, ou plateau. C’est le mont Saint-Jean, bornant une « morne plaine », en avant de la forêt de Soignes, à deux kilomètres d’un village nommé Waterloo où Wellington installe ce soir-là son quartier
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