Napoléon
onze heures, l’Empereur quitte la ferme du Gros-Caillou et se dirige, conduit par son guide, le Flamand de Coster, vers la ferme de la Belle-Alliance, un cabaret toujours situé sur la même grand-route de Charleroi, à près de trois kilomètres plus au nord, et qui se trouve face au mont Saint-Jean. Napoléon choisit l’emplacement où jl se tiendra : une éminence plus près de la ferme de Rossomme – elle n’existe plus – que de la Belle-Alliance, un peu à gauche de la grand-route et à la hauteur de la ferme de son guide de Coster. De là, il dominera le célèbre vallon, et aura juste en face de lui le plateau ennemi. Ne nous trompons point : à « Waterloo, comme à Wagram, ces mots d’éminence, de plateau, de vallon et de mont, sont on ne peut plus relatifs ; Nous ne sommes pas à Austerlitz ! Le poète, une fois de plus a raison : Waterloo est bien une morne plaine, et les pentes, des ondulations de terrain, seront, tout à l’heure, franchies au grand galop...
Les deux armées se regardent : le sort de l’Europe – c’est alors le Monde – va se jouer.
« C’était un spectacle de toute magnificence, rapportera le lieutenant Martin. Les baïonnettes, les casques, les cuirasses étincelaient ; les drapeaux, les guidons, les banderoles des lanciers, sous le souffle du vent, faisaient ondoyer les trois couleurs ; les tambours battaient, les clairons sonnaient, toutes les musiques des régiments entonnaient l’air : « Veillons an salut de l’Empire » ; car, en cet instant même, Napoléon passait la dernière revue de son armée en bataille. Jamais il ne put entendre crier : « Vive l’Empereur ! » avec plus d’enthousiasme, jamais dévouement plus absolu ne se peignit sur les traits, dans les gestes et dans la voix de ses soldats ; c’était comme un délire... Et ce qui rendait cette scène plus solennelle et plus émouvante, c’est qu’en face de nous, à mille pas peut-être, on voyait distinctement la ligne rouge sombre de l’armée anglaise. »
Les soldats de Wellington s’apprêtent eux aussi. Mais, écrit l’un d’eux, « être hérissé de bouts de paille et avoir passé la nuit sous une pluie battante, enfoncés dans l’eau boueuse jusqu’au ventre, produit une drôle d’impression au moment du lever. » Les officiers attendent les ordres ; ils ont allumé leur cigare « en frissonnant de temps en temps ».
À onze heures et demie, la grande batterie de la Garde impériale, un peu en avant de la Belle-Alliance, tonne trois fois. Les trois coups sont donnés !
La bataille commence par l’assaut de l’infanterie. À peine, pour tromper Wellington, la division de l’ex-roi Jérôme – il se battra héroïquement durant toute la journée – a-t-elle attaqué, vers la droite anglaise, le château d’Hougoumont, à peine a-t-elle été obligée par deux fois de se replier, que Napoléon, du mamelon de la ferme de Rossomme, de cet observatoire, voit, à une heure, très loin sur sa droite, vers Saint-Lambert, et dans la direction de Wavre, une masse d’hommes en marche, forte de cinq à six mille hommes.
— C’est probablement un détachement de Grouchy, affirme Soult.
L’état-major n’est pas d’accord. Le temps est toujours brumeux et certains affirment « que ce sont des arbres », d’autres « des colonnes en position ». Mais quelques instants plus tard, une estafette prussienne qui s’est fait prendre met tout le monde d’accord :
— Les troupes signalées sont l’avant-garde du général de Bülow. Toute notre armée a passé la nuit à Wavre. Nous n’avons pas vu de Français et nous soupçonnons qu’ils ont marché sur Plancenoit.
Napoléon se tranquillise. Si vraiment Grouchy se dirige vers Plancenoit – un peu en arrière de sa droite – il arrivera à temps pour tomber sur l’arrière-garde prussienne. Blücher, pris entre deux armées, sera étouffé. Il n’en faut pas moins parer au plus pressé. Aussi l’Empereur détache-t-il dix mille hommes – le corps Lobau – qui se portent aussitôt au-devant de Bulow, tandis qu’une nouvelle estafette, française cette fois, part au galop pour demander à Grouchy de se rapprocher de l’Empereur et de le rejoindre au plus vite pour écraser l’avant-garde de Bulow.
Et Soult de constater :
— Si Grouchy répare l’horrible faute qu’il a commise en s’amusant à Gembloux, et marche avec rapidité, la victoire sera plus décisive, car
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