Napoléon
bonne garde, et revenir avec toute la diligence possible au port d’Angleterre le plus voisin. »
Ainsi que le lui précise Hotham, dans une autre dépêche, le capitaine pouvait employer « tous les moyens d’intercepter le fugitif, de la captivité duquel paraît dépendre le repos de l’Europe ».
Tous les moyens !
Aussi, de plus en plus courtois, Maitland déclare-t-il à Rovigo et à Las Cases :
— L’Empereur fait fort bien de demander des passeports pour éviter des désagréments qui se renouvelleraient en mer...
Puis, le coeur battant certainement à grands coups, il ajoute :
— Mais quelle répugnance aurait-il à venir en Angleterre ? De cette manière, il trancherait toutes les difficultés ?
La conversation va maintenant ressembler à un bavardage de table d’hôte.
— L’Empereur aime les climats doux.
— C’est une erreur de croire que le climat d’Angleterre est mauvais et humide, s’exclame Maitland ; il y a des comtés où il est aussi doux qu’en France... Tel celui du Kent, par exemple ! Quant aux agréments de la vie sociale, ils sont incomparablement supérieurs à tout ce que l’Empereur pourrait trouver en Amérique.
Les deux plénipotentiaires reviennent à bord de la Saâle et rapportent à l’Empereur le récit de l’entrevue. Les équipages sont vite mis au courant et la nouvelle court les deux navires : Napoléon envisage de se livrer à l’ennemi ! Le capitaine de la Méduse propose un plan : sa frégate pourrait se sacrifier en allant attaquer le Bellerophon. Pendant ce temps, la Saâle, ayant l’Empereur à son bord, franchirait la passe. Mais Napoléon refuse, et pour bien montrer qu’il abandonne l’idée de forcer le blocus, il va s’installer à terre, dans la nouvelle maison construite en 1808, pour le commandant de l’île, absent depuis quelques jours. Sa chambre, au premier étage – elle n’a guère changé depuis 1815 – donne sur la rade des Basques où s’est avancé le Bellerophon. L’Emperehr se couche aussitôt dans le lit de noyer à rideaux blancs. Au centre de la pièce trône un guéridon d’acajou entouré de fauteuils recouverts de damas bleu.
Au réveil un nouveau projet lui est soumis. Deux chasse-marée se trouvent dans le port de l’île. Six aspirants de marine proposent à l’Empereur d’équiper les deux bâtiments, de l’y recevoir avec trois ou quatre personnes et, de nuit, de passer à la barbe du vaisseau anglais, en gagnant la haute mer par le nord de l’île de Ré. Là, on arraisonnerait le premier bateau marchand que l’on rencontrerait et on l’obligerait – à prix d’or ou par la force – à mettre le cap sur l’Amérique.
Le plan est séduisant et l’Empereur ne peut faire autrement que de l’accepter. Il donne l’ordre de charger ses bagages sur l’un des chasse-marée. Mais, on le sent, il a donné son consentement presque malgré lui... Au premier prétexte, il renoncera à fuir pour se livrer à « l’honneur anglais ». Gourgaud – le plus intelligent de ses compagnons – le pousse d’ailleurs dans cette voie :
— Vous feriez mieux de vous rendre en Angleterre. Ce noble parti est celui qui vous convient le mieux. Vous ne pouvez pas jouer le rôle d’un aventurier. L’Histoire vous reprochera un jour d’avoir abdiqué par peur, puisque vous ne faites pas le sacrifice en entier... Un joueur se tue. Un grand homme brave l’adversité.
— Hier, répond l’Empereur après un silence, j’ai eu l’idée de me rendre à la croisière anglaise et de m’écrier en arrivant : « Comme Thémistocle, ne voulant pas prendre part au déchirement de ma patrie, je viens vous demander asile. »
Au même moment, un petit oiseau entre par la fenêtre.
— C’est signe de bonheur ! s’écrie Gourgaud.
L’officier prend l’oiseau dans sa main, mais
Napoléon s’exclame :
— Il y a assez de malheureux, rendez-lui la liberté.
Gourgaud obéit et l’Empereur poursuit :
— Voyons les augures.
L’oiseau prend son vol, et Gourgaud s’écrie :
— Sire, il se dirige vers la croisière anglaise !
Le 12 juillet, le roi Joseph arrive de Rochefort. Il est parvenu à trouver un brick dont il a acheté la cargaison et qui accepte de le conduire aux Etats— Unis. Il vient proposer à Napoléon de prendre sa place. Puisqu’il ressemble à l’Empereur – à Saintes on vient, en effet, de le prendre pour Napoléon – il demeurerait à l’île
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