Napoléon
nomme, et lui révèle qu’il est chargé « d’une mission d’État » qui ne doit souffrir aucun retard. À son tour, le lieutenant prend le chemin de l’hôtel de ville.
Dix minutes plus tard, le passeport est rendu au général, et l’équipage s’élance sur la route de Niort. Personne n’a reconnu l’Empereur dans ce gros homme en frac bleu qui, le chapeau enfoncé jusqu’aux oreilles, dort dans le fond de la calèche.
Niort est atteint à dix heures du soir. Il y a trente-huit heures qu’on roule ! L’Empereur fait arrêter les postillons devant l’auberge de la Boule d’Or, place de la Brèche, à l’angle de l’avenue de Paris, et se met au lit.
À son réveil – ce dimanche 2 juillet – il regarde par la fenêtre des cavaliers qui soignent leurs chevaux. L’un d’eux lève la tête et reconnaît Napoléon. La nouvelle court la ville comme une traînée de poudre. Le préfet accourt et supplie l’Empereur d’aller s’installer à la préfecture. Napoléon accepte. Les voitures de la suite, parties de Paris et de Malmaison, atteignent Niort. L’Empereur est maintenant entouré d’une véritable cour : des généraux, des officiers, des chambellans ; il y a même deux femmes : la comtesse de Montholon et la comtesse Bertrand. Vingt berlines surchargées de domestiques et bourrées de bagages rejoignent à leur tour le proscrit. Voici même le roi Joseph qui est parvenu à se munir de passeports français et américain.
Au début de l’après-midi on remet à l’Empereur une lettre du préfet maritime de Rochefort – le capitaine de vaisseau baron de Bonnefoux – la rade est, paraît-il, étroitement bloquée par une escadre anglaise.
« Il me paraîtrait, précise le capitaine, extrêmement dangereux pour la sûreté de nos frégates et celle de leur chargement de chercher à forcer le passage.
Cette « escadre » qui garde le pertuis d’Antioche, le pertuis Breton et celui de Maumusson, ne se compose, en réalité, que d’un vaisseau, le Bellerophon, et d’un ou deux petits bâtiments du type corvette ou sloop. Mais l’Empereur croit le préfet maritime sur parole et pense de nouveau à sa chimère. Il demande à Béker d’envoyer un courrier à Fouché lui faisant savoir l’impossibilité de quitter la rade de Rochefort.
« Si la croisière anglaise empêche les frégates de sortir, dicte Napoléon, vous pouvez disposer de l’Empereur comme général, uniquement occupé du désir d’être utile à la patrie. »
Il se refuse à admettre que tout est consommé. Fouché ne pense pas à défendre Paris : il attend Louis XVIII qui a quitté Cambrai depuis l’avant-veille et se rapproche majestueusement de la capitale.
Autour de l’Empereur, on agite des projets. Le général Lallemand propose à Napoléon de se mettre à la tête du 2 » Hussards qui ne demande pas mieux et d’aller rejoindre, en Vendée, les troupes du général Lamarque. Ce nouveau « retour de l’île d’Elbe » est impossible. Napoléon le sait bien... Ce serait finir en aventurier ! Ne vaudrait-il pas mieux demander asile à l’Angleterre ? Se livrer en tendant les mains aurait « de la grandeur ».
Une fois de plus, il pense à sa légende. Ce n’est pas en se rendant en Amérique « cultiver des terres, vivre du produit de ses champs, finir par où l’homme a commencé », qu’il préparera le trône de son fils et sa propre transfiguration ! Le Bellerophon semble véritablement l’attirer... et, le lendemain, il partira pour Rochefort.
Lorsque sa voiture s’ébranle – le lundi 3 à quatre heures du matin –, la foule crie :
— Restez avec nous ! Restez ici ! Vive l’Empereur !
Escorté jusqu’à la première poste par un peloton du 2° Hussards, acclamé sur toute la route par les Charentais, le proscrit traverse Mauzé, Surgères, Muron, Saint-Louis et arrive à huit heures du matin à la préfecture maritime où l’accueille le baron de Bonnefoux. L’Empereur est conduit vers le bel appartement qu’il avait déjà occupé, avec Joséphine, en 1808. La fenêtre ouvre sur le jardin surplombant l’Arsenal. M. de Bonnefoux lui annonce que les frégates sont prêtes à mettre à la voile. Elles ont été abondamment pourvues de vivres. Fouché a ordonné de faire les choses convenablement. L’une est la Saâle, l’autre la Méduse qui, un an plus tard – le 2 juillet 1816 – ira s’échouer sur le banc d’Arguin, premier acte du drame le
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