Napoléon
fut profondément attristé. Voilà tout ce qu’ils avaient trouvé : un médecin borné et deux pauvres prêtres ! Il ne comprit pas pour quelle raison il était ainsi abandonné – abandonné au point de ne pas plus pouvoir parler avec Buonavita et Vignali du « grand problème », et de se faire soigner par cet âne bâté d’Antommarchi qui, presque jusqu’aux derniers jours de Napoléon, affirmera que le prisonnier de Sainte-Hélène n’était atteint que « d’une maladie politique »...
Une seule consolation : il se jette avidement sur les deux caisses de livres convoyées par les nouveaux venus. Quelle déception ! « La moitié, nous dit Ali, n’étaient que des vieux bouquins que les prêtres avaient achetés. » Seuls, les ornements sacerdotaux étaient beaux. Aussi, Napoléon demande-t-il que désormais, chaque dimanche, la messe soit dite dans le salon transformé en chapelle.
— J’espère, déclare l’Empereur en souriant, que le Saint-Père ne nous fera aucun reproche, nous voilà redevenus chrétiens. S’il voyait notre chapelle, il nous accorderait des indulgences.
Buonavita a également apporté avec lui un portrait du roi de Rome. Lorsque Marchand le tire de sa caisse, le prisonnier sourit. Ses yeux deviennent humides.
— Pauvre enfant ! murmure-t-il. Quelle destinée !
Il tend la miniature à Marchand :
— Tiens, mets-le sur mon bureau, que je le voie chaque jour.
Il semble de nouveau aller mieux en cette fin de l’année 1819 et décide de se livrer à des travaux de jardinage. Il prendra ainsi de l’exercice et, en même temps, pourra creuser les chemins encadrant les parterres, élever des arbrisseaux et des murs de gazon qui lui permettront d’échapper le plus possible à « toute observation extérieure », selon l’expression d’Hudson Lowe. Levé dès cinq heures ou cinq heures et demie, déguisé en colon – veste et pantalon de nankin, chapeau de paille –, il attend avec impatience que le lever du soleil chasse les habits rouges du jardin. Il envoie alors un valet de chambre s’assurer que la voie est libre et sonner la cloche pour appeler tout le monde au travail. Mais il faut donner la parole à Ali, qui a tracé assurément le tableau le plus vivant de la captivité : « Lorsque je n’étais pas de service, il m’appelait en jetant quelques petites mottes de terre dans les vitres de la fenêtre de ma chambre qui donnait sur le bosquet :
— Ali ! Ali ! tu dors !
« Et, en chantant :
— Tu dormiras plus à ton aise quand tu seras rentré chez toi.
« Il continuait l’ariette. Au même moment, j’ouvrais la fenêtre.
— Allons donc, paresseux, criait-il... ne vois-tu pas le soleil ?
« Une autre fois, il disait plus simplement :
— Ali ! Ali ! Oh ! Oh ! Allah ! il fait jour.
« Marchand avait son tour, mais moins souvent, parce que le côté où il logeait était moins fréquenté par l’Empereur. »
La fenêtre de sa chambre se trouvait dans le pignon de l’aile où demeurait Napoléon.
— Marchand, Mamzelle Marchand, disait-il en l’appelant, il fait jour, levez-vous.
« Quand Marchand était arrivé, il le regardait en riant et lui disait :
— Avez-vous assez dormi cette nuit ? Votre sommeil a-t-il été interrompu ? Vous allez être malade toute la journée de vous être levé si matin.
« Et, prenant le ton ordinaire :
— Allons, prends cette pioche, cette bêche, fais-moi un trou pour mettre tel arbre.
« Pendant que Marchand faisait le trou, l’Empereur allait plus loin, et voyant un arbre nouvellement planté :
— Marchand, apporte ici un peu d’eau, arrose-moi cet arbre.
« Et un moment après :
— va me chercher mon pied, ma toise.
« À un autre, près duquel il arrivait :
— Va dire à Archambault qu’il apporte du fumier, et aux Chinois qu’ils coupent du gazon ; on n’en a plus...
« Puis, passant à moi qui tenais une pelle pour charger de terre une brouette :
— Comment, tu n’as pas encore fini d’ôter cette terre ?
— Non, Sire, cependant, je ne me suis pas amusé.
— À propos, coquin, as-tu fait le chapitre que je t’ai donné hier ?
— Non, Sire.
— Tu as mieux aimé dormir, n’est-ce pas ?
— Mais, Sire, Votre Majesté ne me l’a donné qu’hier soir.
— Tâche de le finir aujourd’hui, j’en ai un autre à te donner.
« L’Empereur passant à Pierron qui plaçait un gazon :
— Comment, tu
Weitere Kostenlose Bücher