Napoléon
blessée.
Encore une fois, pour qui l’Empereur la prend-il ? Mais la femme de chambre revient, annonçant que c’est Joseph Poniatowski lui-même qui a apporté le billet. Marie se révolte. Ainsi le chef du gouvernement se mue en entremetteur ! Bien plus, Poniatowski vient maintenant parlementer à la porte de la chambre. Mais en pure perte ! De même qu’elle a refusé de danser, elle ne répond pas et, après une demi-heure de palabres, le prince quitte la place – furieux.
Mais tout va pousser Marie dans les bras de l’Empereur.
Le lendemain, le comte Walewski annonce à sa femme qu’il a accepté pour eux deux une invitation à un grand dîner donné par Napoléon. La comtesse s’insurge, mais le mari appelle à la rescousse Duroc, le prince Joseph et les membres du gouvernement provisoire. Marie se déclare souffrante, s’étend sur sa chaise longue et refuse de paraître au salon. Walewski introduit de force les Polonais dans la chambre de sa femme. L’un d’eux ose lui déclarer :
— Tout doit céder, Madame, en vue de circonstances si hautes, si majeures pour toute une nation. Nous espérons donc que votre mal passera d’ici au dîner projeté, dont vous ne pouvez vous dispenser sans paraître mauvaise Polonaise.
De nouveau Marie s’incline, puisque la ville entière se ligue contre elle. Bien plus, le prince lui envoie Mme de Vauban, sa maîtresse, qui a été autrefois à Versailles et vit à Varsovie depuis la Révolution. Elle apprendra à Marie les secrets de l’étiquette des cours. Mme de Vauban n’a d’ailleurs ni scrupules, ni préjugés, ni pudeur. En femme du XVIII e siècle,elle considère la fidélité conjugale comme un sentiment du dernier mauvais goût. Pour elle, « donner une maîtresse à un souverain, que ce souverain se nomme Louis XV ou Napoléon, est la mission la plus importante qu’il soit permis à un courtisan de remplir ». Sans relâche, ce personnage de comédie répète avec une inconscience désarmante :
— Tout, tout pour cette cause sacrée !
Dès les premières leçons, elle glisse à son élève ce billet de Napoléon : « Vous ai-je déplu, Madame ? J’avais, cependant, le droit d’espérer le contraire. Me suis-je trompé ? Votre empressement s’est ralenti tandis que le mien augmente. Vous m’ôtez le repos ! Oh ! donnez un peu de joie, de bonheur, à un pauvre coeur tout prêt à vous adorer... Une réponse est-elle si difficile à obtenir ? Vous m’en devez deux. N. »
Marie refuse toujours de répondre et l’Empereur s’impatiente. Le complot devient alors assez écoeurant. Des membres du Cabinet – Talleyrand dans l’ombre – la supplient de ne pas se montrer cruelle :
— Madame, les petites causes produisent souvent de grands effets. Les femmes, en tout temps, ont eu une grande influence sur la politique du monde. L’histoire des temps reculés comme celle des temps modernes nous certifie cette vérité. Tant que les passions domineront les hommes, vous serez, mesdames, une des puissances les plus redoutables.
Et on ose encore ajouter :
Croyez-vous qu’Esther se soit donnée à Assuérus par un sentiment d’amour ? L’effroi qu’il lui inspirait, jusqu’à tomber en défaillance devant son regard, n’était-il pas la preuve que la tendresse n’avait aucune part à cette union ? Elle s’est sacrifiée pour sauver sa nation et elle a eu la gloire de la sauver. Puissions-nous en dire autant pour votre gloire et notre bonheur ! N’êtes-vous pas fille, mère, soeur, épouse de zélés Polonais ?
On croit rêver...
Marie cède encore – ses dix-neuf ans et ses nerfs sont à bout – et elle accepte de se rendre au fameux dîner. Dès son entrée au salon les invités se précipitent vers elle et semblent déjà solliciter sa protection. Pendant le repas, elle se trouve assise en face de l’Empereur qui ne cesse de la regarder. À un moment il désigne de la main le côté gauche de son habit. Duroc, qui s’est assis près de Marie, a compris et se tourne vers la jeune femme :
— Qu’avez-vous fait, Madame, du bouquet que l’Empereur vous a donné à Bronie ? demande-t-il.
— Je le garde soigneusement en souvenir, pour mon fils, répond Marie.
— Ah ! Madame, permettez qu’on vous en offre de plus dignes de vous.
Marie sent venir le confident de Napoléon. La croit-on intéressée ? Elle en pleurerait ! La gorge serrée, son joli nez baissé vers son assiette, elle
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