Napoléon
lance :
— Je n’aime que les fleurs.
— Alors, nous allons cueillir des lauriers sur votre sol natal pour vous les offrir.
Pour tout arranger, le comte Walewski s’échappe à la fin du dîner. On prend le café au salon. Napoléon regarde Marie avec tendresse. Il n’a pas aimé ainsi depuis l’époque où Joséphine et ses baisers « brûlaient son sang ». Il s’approche de la jeune femme :
— Avec des yeux si doux, si tendres, avec cette expression de bonté, on se laisse fléchir, on ne se plaît pas à torturer, ou l’on est la plus coquette, la plus cruelle des femmes !
Il quitte le salon. Marie va-t-elle pouvoir rentrer chez elle ? Non ! Duroc l’entraîne chez Mme de Vauban. Là, les deux compères unissent leurs efforts. Mme de Vauban l’affirme :
— Il n’a vu que vous, il vous jetait des flammes.
Duroc s’assied près d’elle.
— Que vous êtes cruelle, déclare-t-il en lui prenant la main. Vous repoussez la demande de celui qui n’a jamais essuyé de refus. Croyez bien que sa gloire est teintée de tristesse. Il ne tiendrait qu’à vous de faire luire dans sa destinée un peu de bonheur. Il vous aime profondément : vous avez vu que, durant tout le repas, c’est vous seule qu’il a regardée. Quelle joie profonde vous pourriez lui causer !
Marie éclate en sanglots... Comment résister ? Les mailles du filet se referment sur elle. La sentantfaiblir, Mme de Vauban lui lit une nouvelle lettre de Napoléon :
« Il y a des moments où trop d’élévation pèse, et c’est ce que j’éprouve. Comment satisfaire le besoin d’un coeur épris qui voudrait s’élancer à vos pieds et qui se trouve arrêté... Oh ! si vous le vouliez ! Il n’y a que vous seule qui puissiez lever les obstacles qui nous séparent. Oh ! venez ! Venez ! Tous vos désirs seront remplis. Votre patrie me sera plus chère quand vous aurez pitié de mon pauvre coeur. N. »
La fin de la lettre la bouleverse. Marie est vaincue, cette fois... et aux deux entremetteurs, elle murmure :
— Faites de moi ce que vous voudrez...
Cependant, la comtesse refuse de répondre à l’Empereur. Sans doute lui dira-t-elle de vive voix son admiration, l’espoir qu’elle met en lui pour sauver son pays et le tirer du néant, mais elle précisera aussi qu’il n’attende point d’elle de l’amour... Une victime ne pourrait en avoir pour son persécuteur. On la tranquillise... Bien sûr, elle pourra tout lui dire ! Le principal pour ces mauvais conjurés est que l’oiselet se rende chez l’Aigle. À leur demande, pour ne pas dire sur leur ordre, durant toute la journée, elle ne bouge pas du palais et attend le moment où on viendra la chercher pour la conduire au supplice. Enfin, à dix heures trente du soir, on la fait monter dans une voiture qui prend le chemin du palais où réside l’Empereur. Là, après avoir gravi LUI petit escalier, traversé deux ou trois salons, elle se trouve soudain face à Napoléon... L’heure du sacrifice a sonné : Marie est de nouveau secouée par les sanglots et veut fuir. Tout d’abord Napoléon ne comprend pas. A-t-il devant lui une rouée ? Une coquette ? Il lui parle avec tendresse, mais trois mots malheureux lui échappent : « Ton vieux mari ». Cela n’arrange rien... Les pleurs redoublent. Il faudra pour calmer la jeune femme que l’Empereur l’interroge avec douceur, lui fasse avouer les raisons de ce mariage si disproportionné. Ainsi c’est sa mère qui a voulu cette union hors nature ? Et aujourd’hui, comment peut-elle avoir des remords ? Comment peut-elle résister à être à lui ?
— Ce qui a été noué sur la terre ne peut plus être dénoué que dans le ciel, explique-t-elle.
Il rit – à nouveau impitoyable. Les larmes se remettent à couler – et le désarment. Il a enfin pitié d’elle. Il n’exige plus rien que sa présence, lui parle avec bonté. Il a compris que cette femme avait une âme de jeune fille pure et droite. Abuser d’elle ce soir serait affreux. Il se résigne à n’être que tendre... Peu à peu les larmes de Marie s’apaisent. Elle lui laisse prendre ses lèvres. À l’instant de partir, il lui fait promettre de revenir le lendemain. À deux heures du matin, il l’aide à remettre son manteau et la raccompagne vers la porte en lui baisant les mains :
— Eh bien, ma douce et plaintive colombe, sèche tes larmes, va te reposer. Ne crains plus l’aigle, il n’a d’autres forces
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