Napoléon
{11} . Me tenant par la main, il me conduisit à la portière de la voiture de l’Empereur auquel il me dit en me présentant :
— Sire, voyez celle qui a bravé les dangers de la foule pour vous !
« Napoléon ôta son chapeau, se pencha vers moi, et je ne sais ce qu’il me dit alors car j’étais trop pressée de lui exprimer ce dont j’étais pénétrée :
Soyez le bienvenu, mille fois le bienvenu sur notre terre ! Rien de ce que nous ferons, ne rendra d’une manière assez énergique, ni les sentiments d’admiration que nous portons à votre personne, ni le plaisir que nous avons à vous voir fouler le sol de cette patrie qui vous attend pour se relever !
« J’étais dans une espèce de transport de délire en laissant échapper cette explosion tumultueuse des sentiments qui m’animaient alors ! Je ne sais même comment, avec ma timidité naturelle, j’ai pu le faire. Souvent ce moment revient à ma pensée, sans que je puisse m’expliquer et définir la force spontanée qui a poussé mes paroles. Napoléon me regardait attentivement, il prit un bouquet qui se trouvait dans la voiture et me le présentant, dit :
— Gardez-le comme garant de mes bonnes intentions, nous nous reverrons à Varsovie je l’espère et je réclamerai un baiser de votre belle bouche. »
Le relayage s’achève... Demeurée au milieu de la route, la petite Polonaise, serrant contre son coeUr le bouquet que lui a offert Napoléon, regarde s’éloigner la voiture escortée de cavaliers de la Garde. Par la portière, l’Empereur agite son chapeau...
Qui est-elle ?
Jolie, blonde et rose, elle se nommait la comtesse Walewska, Marie Walewska. Greuze était alors mort depuis plus d’une année, mais semblait être revenu parmi les hommes pour donner la vie à l’un de ses modèles. Son rire, était, paraît-il, un enchantement. Cependant, depuis trois années déjà, elle ne riait guère. Son père avait disparu lorsqu’elle n’était qu’une toute petite fille et, dès sa sortie du couvent – elle n’avait pas seize ans – sa mère avait exigé qu’elle choisisse entre deux prétendants également fortunés. L’un était jeune et charmant, mais fils d’un général russe... Dix années auparavant, la Pologne avait été, pour la troisième fois, dépecée. Les troisaigles noirs impériaux d’Autriche, de Prusse et de Russie s’étaient jetés sur elle avec tant de voracité que l’État polonais avait fini par disparaître de la carte de l’Europe. L’aigle blanc de Pologne n’était plus qu’un souvenir !... Épouser le fils de l’un de ces généraux du tsar qui oppriment son pays ? Marie eût préféré la mort ! Aussi s’était-elle résignée à épouser le comte Athanase Colonna Walewski, chef d’une puissante maison, mais qui, deux fois veuf, était presque septuagénaire. Son mari, plein de prévenances pour elle, avait essayé de lui faire oublier la grande différence d’âge qu’il y avait entre eux en lui donnant un fils. Il y était parvenu... Et Marie adorait cet enfant. Elle n’avait qu’un seul but dans la vie : faire de lui un homme libre dans une Pologne libre. Combien de fois – comme tant de Polonais aux heures sombres de leur histoire – n’avait-elle pas pensé que la France pourrait un jour délivrer son pays !t
Les victoires de Napoléon sur l’Autriche et la Russie en 1805, puis dernièrement sur la Prusse, l’avaient fait tressaillir d’espoir. Lorsque, tout à la fin de ce mois de décembre 1806, Marie sut que la première rencontre entre Napoléon et les Russes, à Pultusk, avait tourné à la faveur de l’armée française, elle avait senti son coeur battre à grands coups. Les morceaux de Pologne pris par les Autrichiens, les Russes et les Prussiens allaient-ils se ressouder ? La vieille terre, polonaise allait-elle renaître de ses cendres ?
Elle le racontera dans ses Souvenirs, le matin du 1 er janvier 1807, Marie apprit que Napoléon roulait vers Varsovie. Ne tenant plus en place, « tourmentée plus que les autres d’une fièvre d’impatience », elle avait formé le projet de se porter au-devant de lui. Elle s’était déguisée en paysanne – robe de drap bleu, bonnet carré de fourrure noire, voile noir – avait bondi dans sa voiture, entraînant avec elle sa cousine, et ordonné au cocher de prendre le chemin de Bronie...
La voiture impériale a depuis longtemps disparu, mais Marie est demeurée là, émue et éblouie,
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