Napoléon
et à tremper dans des affaires véreuses de fournitures militaires !
— Pour une qui nous inspire quelque chose de bien, il en est cent qui nous font faire des sottises !
Et il ajoutait un peu méchamment, comme s’il avait voulu se venger :
— Les femmes ont deux choses qui leur vont bien : le rouge et les larmes.
Les larmes l’attendriront toujours ; c’est par ces éternelles armes féminines que ses deux épouses, ses maîtresses et ses soeurs auront barre sur lui. Si devant une femme bouleversée, les yeux noyés de pleurs, la voix étranglée par les sanglots, son coeur se met alors à battre un peu plus vite, c’est qu’elle lui apparaît alors « sensible et bonne, naïve et douce ».
Et Joséphine qui possède à la perfection le don de la comédie larmoyante est, de tous les visages féminins qui l’entourent, celui qui garde la plus grande influence sur Bonaparte, ainsi qu’elle le nomme toujours.
Certes la brûlante passion n’est plus qu’un souvenir. Le brasier qui a consumé le coeur du jeune général de la campagne d’Italie s’est éteint. Mais une flamme persiste encore. Il désire toujours sa chère créole. Entre deux amours sans importance, il aime revenir à ce corps souple comme une palme de son île natale, cette femme qui – fait rare à l’époque – parvenait, à force d’artifices, à paraître dix ans de moins que son âge. Plaire était pour elle une seconde nature !
Il éprouve aussi pour « l’incomparable Joséphine » une infinie tendresse. Cet être délicieux, merveilleux, insupportable, l’attendrit peut-être davantage par ses défauts si féminins – cette rouerie, ces mensonges venant naturellement à ses lèvres, ces dettes faites avec une désarmante inconscience – que par ses immenses qualités de coeur, cette bonté native, cette perpétuelle gentillesse, cette manière « d’accommoder ses bienfaits » qu’elle possède à la perfection.
— Les femmes sont toutes ou bien meilleures ou bien pires que les hommes, affirmait-il.
Joséphine, assurément, avait infiniment plus de coeur que Napoléon. Rappelons-le : elle n’avait « point d’ongles » avec lui, selon son expression, et c’est là sans doute une qualité majeure aux yeux d’un mari – surtout lorsque ce mari se prénomme Napoléon. Ce n’est certes pas en pensant à elle qu’il s’était exclamé un jour :
— On ne doit jamais s’emporter avec les femmes, c’est en silence qu’on doit les entendre déraisonner.
Elle « déraisonnait » peu. Intelligente, cette ancienne pensionnaire du couvent de Penthémont, cette ex-vicomtesse – ce n’était pourtant qu’un titre de courtoisie – savait tenir sa cour mieux que bien des souveraines ! Elle connaissait l’art de recevoir, de mettre ses visiteurs à l’aise, de les accueillir comme si elle ne voyait et n’attendait qu’eux, elle savaitse souvenir de leur visage et placer aussitôt un nom sur une physionomie. Et tout cela, à la fois avec ce charme créole irrésistible et l’élégance de l’Ancien Régime.
Joséphine !
Il l’aimait. Il le lui avait encore écrit de Posen au début du mois précédent, en précisant qu’il ne regardait point les Polonaises. Elles lui faisaient pourtant des avances... « Mais il n’y a qu’une femme pour moi, avait-il ajouté. La connaîtrais-tu ? Je te ferais bien son portrait, mais il faudrait trop le flatter pour que tu te reconnusses ; cependant, à dire vrai, mon coeur n’aurait que de bonnes choses à en dire. Ces nuits-ci sont longues tout seul... »
Il n’y a qu’une femme pour moi...
Soudain la voiture s’arrête. Où se trouve-t-on ? Au relais de Bronie, dernière maison de poste avant Varsovie. Toute une foule est là qui se presse et se bouscule pour l’apercevoir. La Pologne l’accueille en libérateur. Son compagnon, le général Duroc, est descendu de la berline pour faire hâter le relayage. Soudain une toute jeune femme en costume de paysanne – une jeune fille peut-être ? – attrape gentiment l’officier par la manche et lui dit en français « d’une voix suppliante » :
— Ah ! monsieur, tirez-moi d’ici et faites que je puisse entrevoir l’Empereur un instant, un seul instant !
La voix est chantante, l’accent charmant, la silhouette menue et gracile, les yeux si clairs, tendres et suppliants que Duroc se laisse apitoyer.
« Il me dégagea en souriant, racontera-t-elle dans son récit inédit
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