Napoléon
grâce ! Sire, dites-la-moi !
— Eh bien, Marie, je juge ce peuple passionné et léger. Je crois que tout se fait chez eux par fantaisie et rien par système. Leur enthousiasme est impétueux, tumultueux, instantané ! Mais ils ne savent le régler,le perpétuer. N’est-ce pas là votre portrait aussi ! Belle Polonaise ! N’avez-vous pas couru comme une folle au risque d’être étouffée, pour m’apercevoir, pour m’encenser ! Je me laisse prendre le coeur par ce regard si tendre, par les expressions passionnées, et puis vous disparaissez ! J’ai beau vous chercher, je ne vous trouve pas, et quand une des dernières vous arrivez enfin, je ne trouve plus en vous que glace tandis que je brûle ! Écoutez, Marie, sachez que toutes les fois que j’ai cru une chose impossible ou difficile à obtenir je l’ai désirée avec ardeur. Rien ne me décourage. Le On ne peut pas me talonne, et j’avance toujours ! Habitué à voir céder avec empressement à mes désirs, ta résistance me subjugue, ta séduction m’a porté à la tête, elle me tient au coeur !,... Je veux... Entends-tu bien ce mot : Je veux te forcer à m’aimer. Marie, j’ai fait revivre le nom de ta patrie, la souche existe grâce à moi. Je ferai plus encore ! Mais songe aussi que comme cette montre que je tiens en mes mains et que je brise à tes yeux...
« En effet, elle vola à mes pieds...
— C’est ainsi que son nom périra. Et toutes tes espérances, si tu me pousses à bout, en repoussant mon coeur et me refusant le tien.
« Je tombai roide à ses pieds, achève Marie. L’effroi m’avait abattue. Il était dans un état de violence indescriptible... »
La fureur de l’Empereur a mis le coeur de Marie à si rude épreuve qu’elle est tombée évanouie. Lorsqu’elle se réveille, elle comprend. Napoléon, éperdu, a profité de son malaise pour abuser d’elle. Il est là, à ses genoux, lui jurant qu’il l’aime à la folie – cette folie qui est sa seule excuse. Il trouve les mots qui touchent le coeur de la malheureuse jeune femme... et Marie ne s’enfuit pas.
« Celui qui voyait l’Univers à ses pieds, poursuit-elle, était aux miens et essuyait mes larmes. Il me releva avec tendresse.
— Tu peux être sûre, Marie, que la promesse que je te fis sera remplie {14} . »
Elle lit tant de passion dans les yeux de Napoléon que, émue par la violence de cet amour – un peu éblouie peut-être aussi–,elle pardonne. Bien plus, elle se met à l’aimer, témoin cette lettre qu’il lui adresse, semble-t-il, dès le lendemain matin à 5 heures, et dans laquelle il lui dit tout son amour :
« Madame,
« J’ai un véritable désir que vous m’appreniez que vous n’êtes pas incommodée, et de quelle manière vous avez passé la nuit. Vous avez été à la même place toute la nuit dans mes idées. Je conserverai longtemps le souvenir de cette nuit... Je sens le besoin de vous dire combien vous m’êtes chère ; si vous en doutiez, vous m’affligeriez véritablement. Vous m’avez promis bien des choses, ne pourriez-vous pas m’envoyer ce qui peut être fait aujourd’hui ? Marie, songez que je vous aime, que vous m’avez flatté de partager tous mes sentiments. N’est-ce pas que vous serez constante ? Mille baisers sur vos mains, un sur ce coeur dont je voudrais troubler un peu la tranquillité. Vous voyez que c’est là l’esprit de vengeance. Adieu, mon amie, que je serai aise de vous voir ce soir ! »
Ce jour-là, Marie écrit à son époux. Elle a pris la décision de rompre avec lui. « Votre première idée, lui écrit-elle, sera de me reprocher ma conduite, mais vous n’accuserez que vous. J’ai tout fait pour vous ouvrir les yeux. Hélas ! vous étiez aveuglé par une vanité sans nom, et, je le reconnais, par votre patriotisme : vous n’avez pas voulu voir le danger. »
Le comte Walewski comprend enfin la situation et se retire à Walewice, tandis que les deux belles-soeurs de Marie servent de chaperons à celle qui est traitée par tous comme la maîtresse du maître. Personne ne s’en offusque à Varsovie. La morale n’existe pas lorsqu’il s’agit des amours royales ou impériales.
Mais l’Histoire peut-elle se montrer aussi compréhensive devant le comportement de Napoléon ?
En admettant que l’Empereur ait été aveuglé parson désir, que désabusé par ses précédentes et trop faciles conquêtes, il ait à ce point manqué de perspicacité sur la
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