Napoléon
vraie nature de Marie, rien ne peut justifier qu’il se soit conduit plus en soudard qu’en souverain. Cette façon d’abuser de la faiblesse d’une femme est difficilement excusable. Cependant, une explication peut être fournie : Napoléon n’a jamais su parler aux femmes autrement que s’il avait affaire à des recrues. Elles le déconcertent, il se sent devant elles gauche, embarrassé et dissimule derrière une brusquerie sa timidité. Il est naturellement et inconsciemment impoli avec elles.
D’une étonnante maladresse, il a rarement quelque chose d’agréable à leur dire ; souvent même il leur fait de mauvais compliments :
— Ah ! mon Dieu, comme vous avez les bras rouges !
Ou bien encore :
— Vous avez là une robe bien sale !... Est-ce que vous ne changez jamais de robe ? Je vous ai déjà vue celle-là vingt fois.
Il ose, un soir, au cercle des Tuileries, demander assez grossièrement à la duchesse de Fleury :
— Alors, Madame, aimez-vous toujours autant les hommes ?
— Oui, Sire, répondit l’interpellée, lorsqu’ils sont polis.
Dans sa jeunesse, au cours de sa formation d’homme, Napoléon a peu fréquenté les femmes, n’ayant pas été élevé par elles – et pour elles – et il ne saura jamais leur parler autrement. Ce que l’on pourrait appeler de la timidité chez un autre homme l’a conduit à commettre une vilenie.
Mais n’y a-t-il pas d’autre excuse à ce comportement qui nous surprend et nous gêne ? Que pouvait penser l’Empereur ? Une jeune Polonaise qui n’est plus une jeune fille, mais une mère de famille de dix-neuf ans – au surplus fort mal mariée – se jette littéralement à sa tête, se déguise pour l’approcher et lui parler. Napoléon peut parfaitement croire que Marie Walewska est prête à se donner à lui. Il ignore à peu près totalement les pressions abominables queva subir la jeune comtesse pour devenir sa maîtresse. Craignant avec raison de déplaire à Napoléon, le prince Poniatowski, pas plus que les membres du gouvernement provisoire polonais, ne l’ont mis au courant du véritable siège qu’ils ont été obligés d’accomplir pour parvenir à leurs fins : faire céder Marie et la conduire, pour le plus grand bien de la Pologne, dans le lit de l’Empereur. Ils lui ont caché le rôle d’entremetteuse joué par Mme de Vauban. Et lui n’a vu qu’une chose : une jeune femme, après quelques réticences, se rend en pleine connaissance de cause à des rendez-vous nocturnes. Il en conclut qu’elle accepte de devenir sa maîtresse.
Infiniment moins excusable est l’appel au patriotisme qu’a employé l’Empereur pour faire céder la vertu de Marie, le véritable chantage qu’il a exercé pour forcer Mme Walewska à venir à ces rendez-vous, cette reconstruction de l’État polonais présentée sans cesse comme un appât : « Votre patrie me sera plus chère quand vous aurez eu pitié de mon pauvre coeur. » Il a tracé ces lignes alors qu’il n’avait qu’une seule idée en tête : s’entendre avec le tsar dès qu’il l’aurait vaincu. Ne savait-il pas déjà – et fort bien – que c’était de nouveau le grand-duché de Varsovie qui paierait la note de cette réconciliation ?
Sans doute Marie avait-elle refusé de lire les billets envoyés par l’Empereur ? Sans doute n’avait-elle pas voulu porter le bijou qu’il lui avait envoyé, mais Napoléon était en droit de se méprendre et de penser que la résistance de la comtesse Walewska n’était, après tout, qu’un habile manège de coquette – slave de surcroît !
Marie n’a d’ailleurs jamais reproché à Napoléon sa violence et toute son attitude a toujours prouvé qu’elle ne lui en voulait point.
Elle lui écrit, en effet, et des lettres fort tendres s’il faut en croire cette réponse :
« Madame,
« Votre lettre est comme vous, parfaite, elle m’a fait du bonheur... J’aurais bien voulu vous parler hier,je sentais qu’un mouvement involontaire me conduisait toujours où vous étiez, souvent il fallait s’arrêter en chemin... J’ai, je ne sais pourquoi, trouvé votre ruban charmant, peut-être vous doutez-vous de la cause ? mais vos pendants d’oreilles, trois mots seulement, méchante, ai-je fait de même ? Méchante, non, non, bonne, belle et toute parfaite Marie... Vous dormez actuellement bien tranquillement... Je désire bien vous voir ce soir, ne serait-ce qu’un moment pour vous entendre me
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