Napoléon
mais de gaieté de coeur, et avec un peu de bonheur. »
Dans le domaine du coeur, il sera toujours l’inconscience même...
VII
DE « L’EMBARRAS » D’EYLAU
A LA VICTOIRE DE FRIEDLAND
Le secret des grandes batailles est de pouvoir s’étendre et se concentrer à propos.
N APOLÉON .
LORSQU’IL cessait de geler et de neiger, la terre,gorgée d’eau jusqu’aux entrailles par le dégel, setransformait en marécages.
— Dieu, pouvait dire Napoléon, a créé pour laPologne un cinquième élément : la boue.
Et, dans cette boue épaisse, effroyable, d’une profondeur inimaginable, le corps d’armée de Bernadotte, ne recevant qu’une demi-ration de vivres parjour, reculait devant les quatre-vingt mille hommesde Bennigsen, devenu général en chef de l’arméerusse. L’Empereur espérait que personne ne bougerait avant le printemps.
Il s’était trompé.
Il s’était trompé également sur la valeur des soldatsrusses. Il les avait mésestimés. Cependant, avec cegénie qui lui permet de faire face à toutes les situations, Napoléon se réjouit de cette retraite. En avançant vers la basse Vistule, Bennigsen va prêter le flanc à la Grande Armée. Il sera pris comme dans un moule à gaufre – d’autant plus que le temps se met au froid et que les chemins deviennent « superbes », ainsi que l’annonce l’Empereur à Talleyrand, le 29 janvier 1807. Deux jours auparavant – par une dépêche du 27 –,Napoléon a expliqué son plan à Bernadotte : qu’il poursuive son mouvement de recul et la victoire est certaine ! Malheureusement l’officier porteur du message a été fait prisonnier par les Cosaques. Voici Bennigsen averti ! « Cette dépêche, racontera le général russe, me découvrait les intentions et tout le plan d’opérations de l’ennemi. » Et il donne aussitôt l’ordre à ses quatre-vingt mille hommes, non seulement de suspendre la poursuite de Bernadotte, mais de se retirer vers Eylau où il installe son quartier général. L’Empereur ne peut lui opposer que soixante-cinq mille soldats affamés, trempés et transis – en comptant les vingt mille hommes de Ney. Mais ce dernier parviendra-t-il à rejoindre la Grande Armée ? Il pourchasse pour le moment – imprudemment d’ailleurs – en poursuivant les Prussiens de Lestocq, quelques débris de l’armée de Frédéric-Guillaume qui continuaient la lutte, pour éviter qu’ils ne se joignent aux Russes.
Nous sommes le 6 février 1807.
Le repli de l’armée du tsar, laissant en chemin pièces de canon, drapeaux et bagages – s’effectue dans le plus grand désordre. Napoléon l’écrit à Daru : l’ennemi « ne sait où il va ». Bennigsen le sait bien, lui ! Il veut empêcher l’Empereur d’occuper Landsberg, position-clef contrôlant le cirque de collines qui entoure Eylau. Et les Français talonnent toujours l’ennemi. Les hommes n’ont rien à manger. Ils ont tous appris le mot polonais : Chleba ! : du pain. Et tous connaissent aussi la réponse négative : Nie Ma.
Un jour, un grognard, voyant passer Napoléon dans sa petite voiture, « éclairée d’une lanterne dans l’intérieur et attelée de quatre chevaux à la Daumont », lui lance :
— Papa, Kléba !
— Nie Ma ! répond en riant l’Empereur, en baissant la glace de sa voiture.
On rit dans les rangs, et titubant de sommeil, leventre creux, claquant des dents, on se bat avecacharnement tout au long de la poursuite !
Les performances réalisées par les soldats de cetteépoque nous laissent pantois. Dupin, maintenantcapitaine, racontera comme s’il s’agissait d’une chosetoute naturelle : « Je me mis à la tête du détachement, j’arrivai au bord de l’eau et passai la rivièremalgré le grand froid, ayant de l’eau jusqu’à la ceinture et étant obligé de rompre la glace pour nousfrayer passage. Malgré une forte fusillade, je fisbattre la charge et le pont fut enlevé. Je ne donnepas le temps de tirailler. Arrivé sur le flanc du moulin, je m’élance en avant des tirailleurs, le moulinfut forcé et les Russes mis en pleine déroute. »
Le 7 février, à Hol, l’arrière-garde russe fait face.L’Empereur fait intervenir les cuirassiers du généralJoseph-Ange d’Hautpoul, qui enlèvent la position. Cefait d’armes va rendre possible la prise d’Eylau, etpermettre à Napoléon d’embrasser le vainqueur :
— Pour me montrer digne d’un tel honneur, s’exclame d’Hautpoul, il
Weitere Kostenlose Bücher