Napoléon
la Vistule ! Il est indispensable de cacher à l’Allemagne ce qu’est devenue la Grande Armée. On restera donc en Pologne et en Prusse Orientale ! On continuera à tenir les Russes à distance et l’on aménagera, à Osterode, un camp pour la Garde – des baraques entourées de palissades. Napoléon s’installe avec ses grognards dans un bâtiment de briques élevé au centre du cantonnement.
C’est là, durant plus de cinq semaines, tandis que gel et dégel se succèdent, qu’il apprend les réactions de l’Europe au lendemain de la meurtrière journée d’Eylau. Assurément, « Buonaparte » a manqué être battu – certains parlent même de défaite. Il n’est donc pas invulnérable ! Paris, bien sûr, se lamente. La Bourse descend. « Cette baisse, explique Savary, venait de la frayeur dont tout le monde était atteint chaque fois que l’on voyait les destinées de la France et de chaque famille soumises à un coup de canon. » Des échos de lassitude – déjà ! – arrivent jusqu’en Pologne. Napoléon, tout en admettant qu’une guerre de ce genre « use le personnel et le matériel », éprouve le besoin de répliquer en écrivant à Fouché : « Jamais la position de la France n’a été plus grande ni plus belle. Quant à Eylau, j’ai dit et redit que le Bulletin avait exagéré la perte, et qu’est-ce que c’est que vingt mille tués pour une grande bataille ?... Quand je ramènerai mon armée en France et sur le Rhin, on verra qu’il n’en manque pas beaucoup à l’appel. »
Une intense activité diplomatique commence. La Prusse considère Eylau comme une revanche d’Iéna. Elle essaye de louvoyer, se rapproche encore du tsar, tout en envoyant un émissaire – Kleist – au camp d’Osterode. Celui-ci trouve Napoléon « furieusement inquiet » – ce qui est d’ailleurs quelque peu excessif. Alexandre en apprenant l’inquiétude de Napoléon est affermi dans la conviction qu’il tient l’Empereur des Français. Il va l’abattre, enfin ! Il demande à l’Autriche de reprendre les armes.
— Battez-les encore une fois, répond prudemment le vaincu d’Austerlitz et d’Ulm.
Les Autrichiens ont tort d’hésiter. Napoléon le leur dira deux ans plus tard :
— Vous avez fait une sottise de ne pas m’attaquer après la bataille d’Eylau ; j’étais dans un fier embarras.
L’empereur François ne doute point de l’importance de cet « embarras » et se contente de se proposer avec prudence et humilité aux belligérants comme médiateur afin de « conclure une paix assurée et solide ».
Alexandre préférait en découdre et Napoléon ne doutait pas de vaincre définitivement son ennemi. Aussi, dans l’unique pièce de son bâtiment de briques entouré tantôt par la boue, tantôt par la neige gelée, décide-t-il de faire venir, non seulement quatorze mille soldats en provenance des dépôts, mais d’appeler les quatre-vingt mille hommes de la conscription de 1808. Le principal est surtout de refaire le moral et la santé de son armée exsangue.
« Faites des miracles », écrit-il, le 12 mars, à Talleyrand. Il faut huit jours pour venir de Varsovie à Osterode ; faites des miracles, mais qu’on m’expédie par jour cinquante mille rations de biscuits. Tâchez aussi de me faire expédier par jour deux mille pintes d’eau-de-vie... Battre les Russes si j’ai du pain, c’est un enfantillage... L’importance de ce dont je vous charge là est plus considérable que toutes les négociations du monde... »
Le 1 er avril, l’armée ayant retrouvé son âme – et presque sa force – le quartier général émigré vers le château de Finckenstein, construit au XVIII e siècle et appartenant au comte de Dohna, grand-maître de la Maison du roi de Prusse. La demeure – aujourd’hui une carcasse brûlée par la guerre – lui plaît : c’est « un très beau château où j’ai beaucoup de cheminées, écrit-il à Talleyrand, ce qui m’est fort agréable, me levant la nuit. J’aime à voir le feu. » Il aime aussi avoir près de lui Marie Walewska.
Encore à Osterode, le 17 mars, il lui avait écrit cette lettre :
« J’ai reçu de vous deux charmantes lettres, les sentiments qu’elles expriment sont ceux que vous m’inspirez, je n’ai pas été un jour sans désirer de vous le dire. Je voudrais vous voir ; cela dépend de vous...
« Ne doutez jamais, Marie, de mes sentiments, vous seriez injuste, c’est un défaut
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