Napoléon
de Napoléon a la clef. Si l’Empereur est absent – comme cela se produit lorsqu’il livre bataille – on lui porte les dépêches. Même en plein combat, il se jette sur elles avec avidité, et dans sa hâte fébrile, afin d’en lire sans tarder le contenu, il lui arrive parfois de déchirer le portefeuille de cuir. L’un d’eux, mis ainsi en piètre état, a été pieusement conservé...
Au moins une fois chaque semaine, un auditeur au Conseil d’État quitte Paris, emportant les portefeuilles de tous les ministres, et rejoint l’Empereur là où il séjourne. Si, au début, les fonctionnaires furent épouvantés à la pensée de devoir, en plein hiver, courir la poste à toutes brides, peu à peu, ainsi que nous le dit Pasquier, ils finirent « par regarder comme la chose la plus simple du monde l’épouvantable fatigue de traverser d’un bout à l’autre, sans s’arrêter, l’Europe tout entière. Le gigantesque entrait dans les habitudes. »
Ce « gigantesque » est à la mesure de Napoléon surhomme. Du quartier général de Finckenstein, nonloin des rives de la Baltique, partent les ordres que des courriers portent chaque jour vers Paris, Amsterdam ou Naples. Il est étonnant – et unique dans l’histoire des hommes – que l’Empereur, à des milliers de kilomètres de Paris, en dépit des préoccupations d’une guerre acharnée, puisse plier son esprit jusqu’à dicter quatre ordres à la fois sur des sujets divers. C’est ainsi que pour les semaines du printemps 1807, nous possédons plus de trois cents lettres :
4 avril. Napoléon à Fouché :
« Les journaux sont mal dirigés... L’esprit de parti étant mort, je ne puis voir que comme une calamité dix polissons, sans talent et sans génie, clabauder sans cesse contre les hommes les plus respectables, à tort et à travers. »
4 avril. Napoléon à son frère Louis, roi de Hollande :
« Vous gouvernez trop cette nation en capucin... Un roi ordonne et ne demande rien à personne... Ayez dans votre intérieur ce caractère paternel et efféminé que vous montrez dans le gouvernement, et ayez dans les affaires ce rigorisme que vous montrez dans votre ménage. »
Moins de deux mois auparavant – le 27 février – un accident s’était produit à l’Opéra de Paris lors d’une soirée à laquelle assistait l’Impératrice. La victime, la figurante Thérèse-Angélique Aubry, avait eu son heure de gloire sous la Terreur en incarnant la déesse Raison à Notre-Dame. Elle interprétait Minerve, tout en haut des cintres, lorsque, tout à coup, la gloire qui la supportait avait basculé. L’événement déclencha une querelle de coulisses entre les responsables. Le rapport de police parvint à Finckenstein et Napoléon répondit à Fouché :
13 avril. « Toutes ces intrigues de l’Opéra sont ridicules. L’affaire de Mlle Aubry est un accident qui serait arrivé au meilleur mécanicien du monde, et je ne veux pas que M. Boutron profite de cela pour intriguer... Qu’il vive bien avec son second ; ne dirait-on pas que c’est la mer à boire que de faire mouvoir les machines de l’Opéra ?... Les actrices monterontdans les nuages ou n’y monteront pas... On pousse trop loin l’indécence... »
19 avril. Napoléon à son frère Louis : « Un prince dont on dit : c’est un bon homme, est un roi perdu... »
19 avril. Napoléon à Junot, gouverneur de Paris : « Je vous ai déjà fait connaître que tous les jours, à midi, sur la place Vendôme, vous ayez une parade. C’est le devoir du gouverneur, surtout dans un moment comme celui-ci. »
19avril. Napoléon au ministre de l’Intérieur : « Il manque quelque chose dans un grand État où un jeune homme studieux n’a aucun moyen de recevoir une bonne direction sur ce qu’il veut étudier, est obligé d’aller comme à tâtons et de perdre des mois, des années à chercher... On pourrait donc s’occuper de l’organisation d’une sorte d’université de littérature, puisque l’on comprend dans ce mot, non seulement les belles-lettres, mais l’histoire et nécessairement la géographie... Cette université pourrait être le Collège de France, puisqu’il existe... Je désire ces institutions : elles ont été depuis longtemps l’objet de mes méditations, parce qu’ayant beaucoup travaillé, j’en ai personnellement senti le besoin. »
20avril. Napoléon à Regnault de Saint-Jean-d'Angély : « J’écris au ministre de la
Weitere Kostenlose Bücher