Napoléon
faut que je me fasse tuer pourVotre Majesté !
Il tiendra parole : le lendemain, il dira à l’Empereur :
— Sire, vous allez voir mes gros talons : ils entrentdans les carrés ennemis comme dans du beurre.
Puis, quelques instants plus tard, il tombera sur lechamp de bataille.
Mais la cavalerie russe sort de la place et commence à charger « en poussant des hourras terribles ».« Voyant notre calme, poursuit Dupin, ils n’osentpousser leur charge à fond et se contentent de nousdire des bêtises... »
Les Français attaquent. On se bat avec acharnement. Le second bataillon du 4 e de ligne parvient às’emparer du cimetière d’Eylau. Dupin est à sa tête. « Je m’aperçus que je me trouvais le seul capitaine debout. » Le feu des Russes est si meurtrier que Dupin est obligé d’ordonner le décrochement, compagnie par compagnie. Cependant, au début de la nuit, il parviendra grâce à des renforts – entre autres ceux conduits par le capitaine Hugo – à reprendre le cimetière « à la course », précise-t-il. Il est sain et sauf, mais semble avoir joué avec les balles : « J’ai reçu deux balles dans mon chapeau, une autre m’a enlevé mon épaulette et, enfin, une quatrième m’a coupé le fourreau de mon sabre et fait deux trous dans ma capote... »
On se bat encore dans le cimetière lorsque, à 11 heures du soir, Napoléon arrive à Eylau, accompagné de Murat et de Soult. La ville est encombrée de blessés, affamés et transis. Enfin, le gros de l’armée russe se retire en bon ordre et va occuper des positions situées derrière les mamelons qui, en demi-cercle, entourent la petite ville. Les Russes, à peine installés, se livrent à un vif barrage d’artillerie. Est-ce pour protéger leur retraite ? Est-ce, au contraire, pour empêcher les Français de venir chasser les soldats du tsar de leurs bivouacs ? Napoléon, un instant, veut aller voir lui-même ce qui se passe sur les collines, mais l’état-major l’en dissuade ! On verra au jour ! Sa Majesté Impériale n’est-elle pas fatiguée, lasse, épuisée ? Voilà sept jours qu’Elle n’a pas retiré ses bottes ! Là-haut, les boulets « pleuvent » ! Pourquoi s’exposer inutilement ? Finalement, après avoir hésité, Napoléon consent à « faire l’empereur ». Sitôt arrivé à la maison de poste, il s’écroule tout d’une masse sur une chaise et s’endort. À 6 heures du matin – il fait encore nuit, une nuit noire comme l’encre – il est réveillé en sursaut par l’arrivée d’un officier :
— Sire, l’ennemi pénètre dans la ville, massacre les soldats endormis dans les maisons. Sire, vite, fuyez !
En quelques minutes, l’Empereur a rejoint le bivouac de la Garde. Il va falloir livrer bataille ! Il n’a que cinquante-quatre mille hommes et deux cents canons à opposer aux quatre-vingt mille soldats de Bennigsen, dont l’artillerie est forte de cinq cents bouches à feu.
Il ne fait pas excessivement froid, mais le vent du nord souffle en tempête. La neige tombe à gros flocons et aveugle les Français, tandis que les Russes ont la chance de recevoir la neige dans le dos. La nuit s’achève, et un jour gris et sale filtre à travers les nuages qui roulent bas.
— Les lâches iront mourir en Sibérie, crie Davout à ceux qui s’apprêtent à partir pour la mêlée ; les braves mourront ici, en gens d’honneur.
Et la tuerie commence.
Les Russes ont la supériorité ; leurs boulets pieu-vent comme grêle sur les Français, « telle que de mémoire d’homme on n’en avait jamais vu », remarquera le général Marbot. Une « avalanche », dira Paulin. Les ravages sont épouvantables. Un boulet emporte la jambe du fourrier de la compagnie du brave Coignet.
— J’ai trois paires de bottes à Courbevoie, s’exclame-t-il, j’en ai pour longtemps.
Et prenant deux fusils en guise de béquilles, il se dirige seul vers l’ambulance. À la tête de ses hommes, le colonel Marcheï, qui tient à deux mains les rênes de son cheval, a les deux poignets enlevés par le même boulet. Un coup de biscaïen – une balle sphérique d’une boîte à mitraille qui vient d’éclater – transperce le bras droit du capitaine Hugo. « Je donnai une poignée de main à mon bras gauche, racontera-t-il, pour m’assurer que mon bras droit était encore là. Je vis seulement un grand trou dans ma manche. »
Les survivants de l’hécatombe s’apprêtent cependant à
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