Napoléon
l’usage s’établit dans l’armée d’appeler, par euphémisme, l’argent du chocolat de Dantzig...
Tandis qu’à Paris les ministres espèrent voir la paix bientôt signée – « pour l’intérêt de l’Empereur, pour celui de la France, pour le nôtre » —, l’entourage de Napoléon aspire au repos. « Voilà six mois que nous avons quitté la France, soupire Caulaincourt, deux ont suffi pour conquérir la Prusse et mettre son roi sans armée et, en quatre mois, nousn’avons pu obtenir un résultat avec les Russes et Dieu sait quand on les joindra ! »
En admettant que l’Empereur ait eu l’intention de céder à leurs souhaits, les Russes et même le corps prussien qui combat encore avec les troupes du tsar ne tiennent nullement à déposer les armes. Il est déjà loin le temps où Bennigsen recommandait « d’éviter les batailles ». Maintenant en parlant de Napoléon, il ose ajouter « le vaincu d’Eylau ». Alexandre, aveuglé par l’air de jactance de son général en chef, est persuadé que lors des prochains combats son armée va anéantir les troupes impériales. Et déjà, il prédit l’avenir : aidé par les Autrichiens, on reconduira l’envahisseur jusqu’au Rhin et aux Alpes et on le bouclera derrière ses frontières naturelles !
Sans tarder davantage, l’ennemi a repris l’offensive et fonce sur les troupes de Soult, de Bernadotte et de Ney. Ce dernier a été si violemment attaqué à l’aube du 5 juin par cinquante mille Russes que son corps, fort seulement de vingt-cinq mille hommes, a dû se replier vers Guttstadt.
Si l’état-major s’inquiète, Napoléon se réjouit. Le samedi 6 juin, de Finckenstein, il écrit à Fouché : « Huit jours après que vous aurez reçu cette lettre, tout sera fini. » Une semaine en effet après avoir tracé ces lignes, l’Empereur livrera bataille. Une fois de plus la victoire doit être totale, décisive ! Si, par malheur, elle ne l’était pas, les Autrichiens se joindraient aux Russes et ce serait la curée !
Où et comment se fera la rencontre ?
Quatre jours plus tard, le matin du 10 juin, alors que par un soleil déjà chaud l’Empereur a quitté Guttstadt pour Heilsberg, il avise tout à coup un mamelon dominant la campagne. L’état-major et la Garde à cheval suivent. Arrivé au sommet, il arrête son cheval :
— Berthier, mes cartes !
« Aussitôt, racontera Norvins, le grand écuyer Caulaincourt fit signe à l’ordonnance chargée du portefeuille des cartes, l’ouvrit et le remit au major général qui, le chapeau bas ainsi que lui, déploya par terre une carte immense, sur laquellel’Empereur se mit d’abord à genoux, puis se courba sur ses mains, puis enfin se coucha de tout son long, armé d’un petit crayon dont il la pointait. Il resta une grande demi-heure profondément silencieux dans cette attitude. En avant de lui, et dans l’attente d’un signe ou d’un ordre, les deux grands dignitaires restaient debout, immobiles, la tête toujours découverte, malgré le brûlant soleil des étés du Nord. La cavalerie de la Garde encadrait le tableau... » Soudain, Napoléon se relève en riant et « en montrant ses belles dents ». Il vient de trouver la tactique qu’il va employer pour battre les Russes. Il faut immédiatement profiter de l’erreur commise par l’adversaire ! L’offensive des troupes ennemies est « un coup d’étourdi ». Pour les attirer vers lui, Ney doit continuer de reculer. Pendant ce temps, Napoléon rassemblera ses forces et amènera les Russes sur un terrain choisi par lui :
— Je les engagerai dans une bataille afin d’en finir !
Cette fois on ne les laissera pas s’échapper ! Il semble les tenir déjà ! En un clin d’oeil, il monte à cheval et part comme l’éclair, sur la route qui va le conduire à Friedland.
Malheureusement, devant Heilsberg – le 10 juin – Murat et Soult attaquent avec trop de furie au lieu de contenir simplement l’armée ennemie et permettre ainsi à l’Empereur de gagner, avec le gros de ses forces, l’endroit désigné. Les deux lieutenants de l’Empereur n’ont avec eux que trente mille hommes. En face, ils sont quatre-vingt-dix mille ! Napoléon fait donner des réserves, se rapproche de Heilsberg et se promène avec tant d’inconscience sous le feu des Russes, que Oudinot lui lance :
— Sire, si vous restez exposé à la mitraille, je vous fais enlever par mes grenadiers et enfermer dans
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