Napoléon
paix ! Un seul fait éblouit l’Empereur : le 19 juin, Murat, lancé à la poursuite des vaincus, est parvenu à la frontière de l’empire russe. Napoléon peut écrire fièrement à Fouché : « Mes Aigles sont arborées sur le Niémen. »
VIII
« JE VOUS DISPENSE DE ME COMPARER A DIEU »
L’anarchie ramène toujours au pouvoir absolu.
N APOLÉON .
N APOLÉON va-t-il donner l’ordre aux vainqueurs deFriedland de traverser le Niémen et de pénétrer en Russie ? Il est fou de joie, et, du hameau dominant Tilsit, de toute la vitesse de son cheval,il dévale vers le fleuve. Certains craignent que, grisépar sa victoire, il ne le franchisse. Talleyrand, quise trouve à Dantzig, écrit le 18 juin 1807 à l’Empereur pour lui dire qu’il considère la victoire de Friedland « comme un avant-coureur de la paix ». Il précise même : « C’est par là qu’elle m’est chère ; car,toute belle qu’elle est, je dois l’avouer, elle perdraità mes yeux plus que je ne puis dire si Votre Majestédevait marcher à de nouveaux combats... »
Talleyrand a tort de s’inquiéter : Napoléon, réflexion faite, désire maintenant regagner Paris aprèscette longue absence. Pour lui – il l’écrit le 20 juin–,Friedland est un « dénouement ». Les Russess’avouent vaincus « et crient à tue-tête : la paix ! »
Cependant, certains « vieux Russes » souhaitent que le tsar laisse le vainqueur de Friedland franchir la frontière. Ils l’affirment – « l’armée de M. Buonaparte », loin de ses bases, harcelée et affaiblie par une guerre de guérillas, périrait dès la première grande rencontre comme celle de Charles XII. Bennigsen semble oublier qu’il vient d’être battu à plate couture. La débandade de Friedland n’est plus pour lui qu’un repli stratégique.
— Nos renforts nous mettront sous peu en état de devenir plus redoutables que jamais à Bonaparte.
Alexandre demeure songeur. Et si Napoléon reformait le royaume de Pologne ? Cette Pologne que le tsar rêvait de transformer en un vaste glacis devant le Niémen, ne marcherait-elle pas avec l’envahisseur, si les Français pénétraient dès maintenant en Russie ?
Pour la Sainte Russie, mieux valait la paix.
Aussi, le vendredi 19, se refusant à écouter Bennigsen, le tsar envoie le prince Lobanov à Napoléon pour lui demander un armistice. Le prince revient de sa mission fort optimiste. Les exigences de l’empereur des Français seront certainement fort modérées. Par ailleurs, le tsar, peu secondé ou abandonné par ses alliés se met à admirer maintenant Napoléon. Il l’affirme : l’union de la France et de la Russie lui paraît la seule garantie pour « le bonheur et le repos de l’univers ». Il déclare même à Caulaincourt :
Nous avons été battus, mais vous conviendrez que nous nous battons bien. Nous sommes deux grandes nations, pour faire la paix, nous devrions prendre le globe et le partager.
Napoléon paraît être de cet avis puisque, le 22 juin, l’Empereur dit au prince Lobanov, de nouveau reçu à Tilsit, en lui montrant la Vistule sur une carte :
Voici la limite entre les deux empires. D’un côté, doit régner votre souverain, moi de l’autre.
Il fallait au plus vite que les deux empereurs se voient ! Napoléon ne tient tout d’abord que « médiocrement » à cette entrevue – il l’écrira à Talleyrand la veille même de la rencontre–,mais une idée s’impose à son esprit : pourquoi ne pas faire la paixen abandonnant avec grandeur d’âme les avantages que Friedland lui permettait d’exiger du tsar ? Au lieu de créer un vaste État polonais menaçant la Russie, ne vaudrait-il pas mieux se contenter d’un avant-poste sur la Vistule, composé • de l’ancienne Pologne prussienne ? Pourquoi ne pas laisser à Alexandre les mains libres, à la fois au nord pour s’emparer de la Finlande, et, au sud, pour s’approprier une part importante de l’empire ottoman qui est en train de se désagréger ? Sans doute Napoléon avait-il signé récemment une alliance avec le sultan Selim, son ancien adversaire de la campagne égyptienne – ex-sultan depuis le 27 mai, il est vrai – sans doute encore, en ne ressoudant pas les morceaux de la Pologne allait-il affreusement décevoir les magnats polonais qui avaient mis leur confiance en lui – et surtout Marie !–,mais le partage du monde valait bien un sacrifice sur les rives du Niémen et de la
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