Napoléon
un caisson.
Napoléon obéit et se dirige vers un des carrés en grommelant :
— C’est qu’il le ferait comme il le dit !
La contre-attaque a réussi. C’est bientôt au tourdes Russes de se replier et, à 4 heures du matin – le 11 – l’Empereur entre dans Heilsberg. Dès le lendemain – selon l’expression de Louis Madelin – Napoléon prépare « une nouvelle souricière ». Tandis que le gros de l’armée française prend le chemin de Koenigsberg, base des opérations et centre de la ligne de résistance ennemie, on apprend que Bennigsen se dirige vers le nord. Il remonte, en effet, avec toutes ses forces la rive droite de l’Aile, une rivière qui serpente le plus souvent dans le creux d’une vallée encaissée. Bien protégé par cette défense naturelle, le général russe ne craint pas de voir son flanc menacé. Soudain on vient lui annoncer qu’une avant-garde française a pénétré dans Friedland, située sur la rive gauche et placée entre deux boucles de l’Aile. Il s’agit du corps de Lannes qui précède toute l’armée impériale. Bennigsen commet alors la faute dont il se repentira toute sa vie : afin d’anéantir l’adversaire, il fait traverser la rivière au gros de ses forces et se précipite vers Friedland. Lannes, qui n’a sous la main que dix mille hommes, doit abandonner sa position, d’autant plus que l’artillerie russe s’est mise en batterie sur les hauteurs de la rive droite qui domine la ville.
Bennigsen ne peut s’imaginer que l’Empereur est à quelques lieues et que toute l’armée française s’apprête à fondre sur lui, sans qu’il puisse reculer autrement qu’en passant par les ponts étroits qui enjambent l’Aile aux rives fort escarpées à cet endroit. Pour tout arranger, les abords de Friedland sont rendus difficilement accessibles par deux autres obstacles naturels : un étang et le Mühlenbach – le ruisseau du Moulin affluent de l’Aile – dont les méandres coulent au fond d’un véritable ravin. Bennigsen ne se rend toujours pas compte du danger. Il continue à s’installer sur la rive gauche – cette rive qui sera sa perte. Il se frotte même les mains en apprenant l’arrivée d’un autre corps français – celui d’Oudinot... Et la bataille, la première bataille de Friedland, s’engage, une bataille très difficile pour les Français bien inférieurs en nombre – vingt-six mille contre soixante-dix mille !–,mais les impériaux se battent avec une énergie farouche, certains de voir arriver Napoléon à la tête de cinquante mille hommes.
Au même instant, l’Empereur ayant appris que Bennigsen est tombé dans le piège qu’il lui a préparé et qu’il s’est placé dos à la rivière – une rivière infranchissable rapidement – quitte Eylau « rayonnant de joie ». Sitôt arrivé en vue du champ de bataille – il est alors midi–,Napoléon monte sur le plateau, s’installe dans son fauteuil, placé près d’un moulin, et commence à déjeuner d’un morceau de pain noir « fait en forme de brique » et bardé de longues pailles. Il rit, heureux, détendu et demande sa lunette de campagne au page de service. Il constate que la ville se trouve au centre du dispositif ennemi. Celui-ci, formé de deux ailes, suit en aval le cours de l’Aile et par conséquent est disposé en échelon un peu refusé. Le plan de l’Empereur ? Laisser les Russes s’enferrer encore sur la rive gauche, tout en faisant passer sur la rive droite, dans la boucle de l’Aile, le maximum de monde par les ponts que le génie a rapidement construits en amont. Tout à l’heure, selon la manoeuvre classique et habituelle,on brisera le centre pour battre ensuite séparément les deux ailes.
— Voilà le but, explique-t-il à Ney, marchez sans regarder autour de vous ; pénétrez dans cette masse épaisse quoi qu’il puisse vous en coûter ; entrez dans Friedland, prenez les ponts, et ne vous inquiétez pas de ce qui pourra se passer à droite, à gauche, ou sur vos derrières. L’armée et moi sommes là pour y veiller.
Pourquoi l’Empereur ne passe-t-il pas immédiatement à l’attaque décisive ? Parce que l’armée française ne sera véritablement rassemblée que vers 5 heures. Ne sera-t-il pas trop tard pour livrer bataille ? Ne vaudrait-il pas mieux remettre au lendemain ? L’Empereur hoche la tête : il voit l’état-major russe qui ne parvient pas à venir à bout des corps de Lannes,
Weitere Kostenlose Bücher