Napoléon
d’Oudinot et de Mortier, et commet la folie de faire passer sans cesse de nouvelles réserves de l’autre côté de la rivière.
Non, s’exclame Napoléon, on ne surprend pas deux fois l’ennemi en pareille faute !
On pouvait attendre : au mois de juin, non loin de la Baltique, le crépuscule ne tombe guère avant 11 heures du soir ! L’Empereur, « cinglant et brisant de hautes herbes avec sa cravache », demande au maréchal Berthier :
— Quel jour sommes-nous aujourd’hui ?
— C’est le 14 juin, Sire.
— Jour de Marengo ! Jour de victoire ! s’exclame l’Empereur.
Et Napoléon « continue à jouer sa bataille comme une partie d’échecs ». À 5 h 30, on entend tonner une batterie française forte de vingt canons : c’est le signal de l’attaque. Toutes les forces impériales sont maintenant à pied d’oeuvre. Les combattants se lèvent en criant :
— Vive l’Empereur ! À Friedland ! En avant !
Et – une fois de plus – tout se meut et va se dérouler comme il l’a prévu.
Ney a ordonné la marche en avant, l’arme au bras, tandis que les canons ennemis – toujours placés sur les collines de la rive droite – font pleuvoir surles Français une grêle de boîtes à mitraille qui « éclataient sur nos têtes, racontera le chef d’escadron Levasseur, et faisaient un cliquetis affreux dans les fusils élevés ». La fumée aveugle les hommes qui obliquent trop à droite. Les Cosaques pénètrent dans l’intervalle. Levasseur, envoyé par Ney, arrive au galop près d’un colonel :
— Appuyez à gauche ! hurle-t-il.
« Mais pendant que je lui parle, continue Levasseur, un boulet l’enlève. Un commandant met aussitôt son chapeau au bout de l’épée en criant :
— Vive l’Empereur ! En avant !
Un second coup arrive et le commandant tombe sur les genoux, les deux jambes coupées. Un capitaine lui succède et fait à grand-peine exécuter le même mouvement. »
Le canon français tonne maintenant. En trois heures – chiffre considérable pour l’époque–,l’artillerie impériale tire deux mille six cents coups de canon, contraignant d’abord les batteries russes à se taire, puis démolissant un à un les carrés de l’adversaire. Ensuite vient le tour de l’infanterie française qui exécute des feux de peloton et avance au pas de charge. C’est le coup de grâce. Alors que la Garde est demeurée l’arme au bras, sans recevoir l’ordre d’intervenir, les masses ennemies se décomposent sous les yeux ravis de Napoléon. Avant que le soleil ait touché l’horizon c’est le sauve-qui-peut. Les ponts de bateaux trop étroits entravent la débâcle de l’ennemi. Les Russes se jettent dans la rivière pour gagner plus vite l’autre rive, l’Aile est profonde, beaucoup se noient. Les fuyards ne prennent pas le temps de chercher un gué. Il en existe pourtant un, vers l’aval, à la hauteur de la tuilerie de Klochenen.
Napoléon confie au courrier Moustache cette lettre adressée à Joséphine : « Mon amie, je ne t’écris qu’un mot, car je suis bien fatigué ; voilà bien des jours que je bivouaque. Mes enfants ont dignement célébré l’anniversaire de la bataille de Marengo. La bataille de Friedland sera aussi célèbre et aussi glorieuse pour mon peuple. Toute l’armée russe mise en déroute, quatre-vingts pièces de canon, trentemille hommes pris ou tués ; vingt-cinq généraux russes tués, blessés ou pris ; la garde russe écrasée. »
La défaite russe est, cette fois, totale. Cela n’empêche pas Bennigsen d’expliquer au tsar : « Les Français eurent beau jeu puisque la prudence exigeait qu’on ne leur disputât pas le champ de bataille. » Mais piteux, tombé de haut, il lui faudra bientôt avouer l’effroyable réalité et la « boucherie » que Friedland fut pour son armée. Il suffit pour s’en convaincre de parcourir le lendemain, avec l’Empereur, le champ de bataille couvert de cadavres. La chaleur est torride, la puanteur atroce. Le projet d’enterrer les morts est abandonné. Il faut faire vite, et l’ordre est donné de traîner jusqu’à l’Aile les cadavres des hommes et des chevaux. L’opération, rapidement menée, se termine par les gros rires des soldats, égayés à la vue des morts cabriolant le long des pentes du ravin avant de disparaître dans la rivière...
Sept mille Français sont tombés, eux aussi... On essaye de n’y point trop penser. Friedland ! Pays de
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