Napoléon
grandes revues d’affaires qu’il est temps de faire succéder aux grandes revues d’armées.
Mais il ne veut surtout pas être contrarié par les assemblées. Fouché, ancien conventionnel, connaît le problème et lui déclare paisiblement :
— Si un corps quelconque s’arrogeait le droit de représenter le souverain seul, il n’y aurait d’autre parti à prendre que de le dissoudre... Si Louis XVI eût agi ainsi, ce malheureux roi vivrait et régnerait encore.
L’ex-citoyen Fouché oubliait volontiers qu’il avait contribué à envoyer ce « malheureux roi » à l’échafaud... Quoi qu’il en soit, Napoléon trouve bon le conseil donné par le régicide et, d’un trait de plume – le 19 août – supprime le Tribunat, coupable, précise le décret, d’avoir conservé dans son sein « quelque chose de cet esprit inquiet et démocratique qui avait longtemps agité la France ».
Fouché a également la haute main sur la presse qui mécontente encore trop souvent Napoléon. Les très légères réserves que se permettent les journaux le mettent en fureur.
— Je n’en laisserai qu’un ! s’exclame-t-il.
Et Fouché d’approuver. Le ministre croit être assez puissant pour, selon sa propre expression, « travailler à donner un avenir au magnifique Empire » dont il s’intitule « l’un des principaux gardiens ». Ce travail consiste, entre autres, à débarrasser « le magnifique empire » de Joséphine, malheureusement stérile. « Dans un Mémoire confidentiel dont je fis moi-même la lecture à l’Empereur, précise-t-il, je lui représentai la nécessité de dissoudre son mariage, de former immédiatement, comme empereur, un nouveau noeud plus assorti et plus doux, et donner unhéritier au trône... Napoléon me laissa entrevoir que, sous le point de vue politique, la dissolution de son mariage était arrêtée déjà dans son esprit... que d’un autre côté il tenait singulièrement par ses habitudes autant que par une sorte de superstition, à Joséphine et que la démarche qui lui coûterait le plus serait de lui signifier le divorce... Poussé par un excès de zèle, je résolus d’ouvrir la brèche... »
Assurément, l’Empereur pense de nouveau – et avec une force redoublée par son triomphe de Tilsit – à son successeur. La mort du petit Napoléon-Charles, le fils de Louis et d’Hortense, lui avait fourni l’occasion de parler à Joséphine « de la nécessité où peut-être un jour il pourrait se trouver de prendre une femme qui lui donnerait des enfants ». L’Impératrice avait blêmi, tandis qu’il poursuivait :
— Si pareille chose arrivait, Joséphine, alors ce serait à toi de m’aider à un tel sacrifice. Je compterais sur ton amitié pour me sauver de tout l’odieux de cette rupture forcée. Tu prendrais l’initiative, n’est-ce pas ? Et, entrant dans ma position, tu aurais le courage de décider toi-même de ta retraite ?
— J’obéirai à tes ordres, lui avait-elle répondu, résignée.
Puis, avec adresse elle avait ajouté :
— Mais je n’en préviendrai jamais aucun.
Ce fut dit d’un « ton calme et assez digne qu’elle savait fort bien prendre vis-à-vis de Bonaparte et qui n’était pas sans effet », nous rapporte Mme de Rémusat. Napoléon se tut. On verrait plus tard ! Mais, pendant le séjour de la cour à Fontainebleau, Fouché juge le moment favorable pour reprendre son travail de termite et approfondir davantage «la brèche », qu’il avait l’intention d’ouvrir. Depuis son arrivée, il « épie » l’impératrice, il guette l’occasion. Elle se présente un dimanche à la rentrée de la messe. « Là, raconte-t-il, tenant Joséphine dans l’embrasure d’une fenêtre, je lui donnai avec toutes les précautions oratoires, tous les ménagements possibles, la première atteinte d’une séparation que je lui présentai comme le plus sublime et en même temps le plus inévitable des sacrifices. Son teint se colora d’abord, elle pâlitensuite, ses lèvres se tuméfièrent... Ce ne fut qu’en balbutiant qu’elle m’interpella pour savoir si j’avais ordre de lui faire une si triste insinuation. Je lui dis que je n’avais aucun ordre, mais que je pressentais les nécessités de l’avenir... »
Quelques jours plus tard, à minuit, M. de Rémusat est appelé près de l’Impératrice. Il trouve Joséphine « échevelée, à demi déshabillée et avec un visage renversé ». Elle vient
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