Napoléon
de recevoir une lettre de Fouché. Cette fois, le ministre lui fait miroiter la beauté, la grandeur de son renoncement. Il termine en affirmant que l’Empereur ignore sa démarche. Sur le conseil de M. de Rémusat, Joséphine, dès le lendemain matin, se précipite chez l’Empereur et lui fait lire la lettre de Fouché. Napoléon paraît indigné et désavoue son ministre.
— C’est un excès de zèle, explique-t-il à sa femme, il ne faut pas lui en savoir mauvais gré, au fond. Il suffit que nous soyons déterminés à repousser ses avis, et que tu croies bien que je ne pourrais pas vivre sans toi.
Il écrit aussitôt au ministre : « Il me revient de votre part des folies ; il est temps enfin que vous y mettiez un terme, et que vous cessiez de vous mêler, directement ou indirectement, d’une chose qui ne saurait vous regarder d’aucune manière... »
Et Fouché de conclure : « Il était pour moi évident que si déjà il n’eût arrêté secrètement son divorce, il m’eût sacrifié, au lieu de se borner à un simple désaveu de ma démarche. » Il semble pourtant que cette intervention ait plutôt retardé la résolution de l’Empereur.
— Le divorce était une chose si naturelle, expliquera Napoléon à Sainte-Hélène, si politique, si importante pour tout le monde que jamais je n’ai regardé cela comme une difficulté. Fouché vint gâter cela en y mettant le nez. Je l’eusse renvoyé pour avoir osé porter les regards dans mon lit, si cela n’avait pas eu l’air d’éliminer cette idée de divorce.
Fouché qui connaît le fond de la pensée impériale ne se tient point pour battu. Napoléon est parti en voyage éclair – et glorieux – pour Milan et Veniseoù le ministre lui adresse des rapports de police affirmant que des « femmes moralistes du faubourg Saint-Germain prétendent savoir que la stérilité de l’Impératrice ne provient pas de sa faute ; que l’Empereur n’a jamais eu d’enfants ; que les liaisons que Sa Majesté a eues avec plusieurs femmes n’ont jamais eu de résultats, tandis que ces femmes, à peine mariées, sont devenues enceintes... » De nouveau, Napoléon se fâche et répond : « Je vous ai déjà fait connaître mon opinion sur la folie de la démarche que vous avez faite à Fontainebleau relativement à mes affaires intérieures. En vous conduisant ainsi, vous égarez l’opinion et vous sortez du chemin dans lequel tout honnête homme doit se tenir. »
Joséphine n’en tremble pas moins et elle propose à son mari – celui-ci le racontera encore à Sainte-Hélène – « de faire un enfant à quelque demoiselle, qui passerait pour le sien ». Napoléon refuse de jouer une comédie incompatible avec sa dignité, mais tous les décrets pris au début de 1808 tendent vers ce but : forger un empire héréditaire. Aussi, après avoir fait des souverains, décide-t-il de créer une noblesse impériale. D’abord, de droit, les grands dignitaires sont nommés princes, les ministres, les archevêques, les conseillers d’État reçoivent le titre de comtes, tandis qu’évêques, préfets et maires sont promus barons. De 1808 à 1815, Napoléon distribuera ainsi trente et une couronnes de ducs à huit fleurons, quatre cent cinquante-deux couronnes de comtes à seize pointes, cent tortils de barons et quatre cent soixante-quatorze de chevaliers. Le plaisant de l’opération est que certains nobles de l’Ancien Régime se voient retitrés, c’est-à-dire renommés comtes impériaux. Un ancien duc dégringolera au rang de comte, ce qui permettra à Talleyrand, très pince-sans-rire, de lui écrire : « Je vous félicite, car il faut espérer qu’à la première promotion, vous serez baron. »
Les anciens soldats de la République qui ont fait trembler les rois, reçoivent cette poussière d’or avec une joie qu’ils ne cherchent nullement à dissimuler. En arrivant aux Tuileries Laure Junot voit Savary se précipiter vers elle :
— Embrassez-moi, j’ai une bonne nouvelle à vous apprendre.
— Dites d’abord la nouvelle et puis l’embrassade viendra ensuite si votre nouvelle en vaut la peine !
— Eh bien, c’est que je suis duc !
— C’est en effet une chose surprenante. Mais pourquoi cela fait-il que je doive vous embrasser ?
— Et je m’appelle le duc de Rovigo, poursuivit-il en marchant dans la chambre, tellement bouffi de sa joie, racontera Laure, qu’il aurait pu s’enlever comme un
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