Néron
victimes furent Narcisse et Nelus. Agrippine fit empoisonner le premier et celui-ci choisit, comme on le lui suggérait, de s’ouvrir les veines. Quand il vit les prétoriens envahir sa maison, le second tenta de s’enfuir et sa main trembla quand il voulut se porter un coup de poignard à la gorge. Il tomba à genoux, pleura comme l’esclave qu’il avait été, implora le centurion qui brandissait déjà son glaive, promit de révéler à l’empereur et à Agrippine tout ce qu’il savait de la conjuration de Narcisse qui, dans les semaines précédant la mort de Claude, avait organisé la résistance à Agrippine et tenté de faire reconnaître Britannicus comme successeur du maître de Rome.
Le centurion n’écouta pas et le frappa à la nuque d’un coup si fort que la tête de Nelus en tut tranchée net.
Agrippine lui avait donné l’ordre de « tuer Nelus quoi qu’il dise, quoi qu’il fasse », et de lui rapporter sa tête.
Elle la fit poser à côté de celle de Narcisse.
Était-ce là une politique de clémence ?
— C’est Agrippine, murmura Sénèque lorsque je lui demandai si ces crimes, cette haine, cet esprit de vengeance n’annonçaient pas un empereur encore plus cruel que Caligula ou Claude.
Ne savait-il pas que Néron avait choisi comme mot de passe, pour ces prétoriens, « la meilleure des reines », et qu’à chaque dîner il se faisait servir des champignons, déclarant en les mâchant lentement : « Les cèpes sont un mets divin » ?
— Le fils et la mère, avait répondu Sénèque. Le même sang, mais il est déjà trop tard pour que la mère dévore le fils.
16
J’ai pensé que Sénèque se trompait.
Si Agrippine avait enfoncé ses griffes dans le cou de son lionceau, comment celui-ci aurait-il pu desserrer cette étreinte mortelle ?
Sa mère s’avançait vers lui, parée, poudrée, parfumée, maquillée comme une maîtresse. Elle lui tendait les bras. Ses ongles, dont la laque noire faisait ressortir l’éclat des diamants qui ornaient ses mains, effleuraient le visage de son fils. Son corps nu ondoyait sous sa tunique. Les formes de ses hanches et de ses seins dessinaient sous le tissu des courbes alanguies.
Elle invitait Néron à monter près d’elle dans sa litière. Les deux licteurs commençaient à marcher. Agrippine baissait les rideaux de cuir. On entendait des gémissements. On imaginait qu’elle s’unissait à son fils dans un accouplement incestueux.
Lorsque, devant le palais impérial, Agrippine descendait de sa litière, suivie par Néron, leurs vêtements, la toge de l’un, la tunique de l’autre, étaient en désordre, les joues de Néron rouges de plaisir ou de honte. Mais peut-être le viol de l’interdit constituait-il pour la mère et le fils un attrait de plus ?
Agrippine entrait dans les salles du palais en défiant du regard la foule assemblée. Elle s’arrêtait devant Sénèque et Burrus. Elle était Augusta, invincible, mère et maîtresse de l’empereur. Que l’un des conseillers de Néron osât donc lui contester sa place, tentât de lui arracher sa proie, ce fils qu’elle avait voulu et fait empereur pour régner cachée derrière lui, puisque les femmes ne pouvaient accéder à la magistrature suprême !
Ainsi, un jour, je l’ai vue se diriger vers l’estrade sur laquelle Néron siégeait, attendant de recevoir les ambassadeurs d’Arménie qui venaient remercier Rome de l’aide que les légions du général Corbulon avaient apportée à leur pays dans sa lutte contre les Parthes.
Agrippine a ignoré la tribune qui lui était réservée, en dessous et à gauche de l’estrade. Là était sa place, voisine mais inférieure à celle de l’empereur. C’est de là qu’elle avait assisté, lorsqu’elle était l’épouse de Claude, à l’acte d’allégeance et de soumission des rois vaincus. Aujourd’hui, elle voulait davantage : rejoindre Néron sur l’estrade, montrer ainsi qu’elle incarnait le pouvoir, qu’elle était même plus que l’égale de l’empereur.
À chaque pas qu’elle faisait, le silence s’approfondissait dans la salle. Tous les yeux la suivaient. Elle allait proclamer sa prééminence.
J’ai vu Sénèque et Burrus s’approcher de Néron, lui chuchoter quelques mots. Après s’être tassé sur son siège, l’empereur s’est levé brusquement et a quitté l’estrade, descendant les marches, bras ouverts, comme pour accueillir sa mère.
Surprise, elle s’est
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