Néron
qui l’ont prétendu.
Sénèque m’entraîna jusqu’à l’atrium de sa villa en murmurant qu’il était de ceux-là.
Je vis Acté.
Elle se tenait debout près de l’impluvium au centre duquel une fontaine faisait jaillir une eau chantante et claire. Et ce sont ces deux épithètes que je retins pour Acté. Sous sa tunique bleutée, ses longs cheveux blonds tombant sur ses épaules – aucune Romaine ne se coiffait ainsi –, elle était mince et attirante comme un mystère. Elle paraissait soumise et indomptable, disposée à se prêter aux jeux les plus pervers, et pure cependant. Son regard était candide, ses traits d’une perfection grecque – nez droit, menton bien dessiné, front haut, cou long –, ses bras graciles, ses doigts fuselés.
— Lorsque Agrippine saura, murmura Sénèque tandis que nous nous dirigions vers Acté, elle deviendra une bête furieuse prête à nous déchirer.
Il secoua la tête.
— Mais Néron est pris, a-t-il poursuivi. Il n’avait, avant de connaître Acté, que le choix entre Octavie, épouse aussi stérile que le désert d’Égypte, ses proies affolées capturées la nuit dans les rues de Rome, ou la litière d’Agrippine. Acté va lui faire découvrir d’autres plaisirs. Il ne renoncera à rien. Ce n’est qu’une affranchie qui doit se soumettre, même si elle est fille de roi. Tu le sais, Serenus, le désir ne suffit pas à faire naître le plaisir. Il faut un instrument au musicien. Acté sera la cithare de Néron. Elle jouera tous les rôles : fille de lupanar, femme violée, épouse, mère. Crois-tu qu’Agrippine le puisse ? Acté est jeune, Serenus, elle pourra même être la vierge qu’on force. Mais elle saura aussi être la chienne que le maître, à son gré, fouette et caresse.
Acté était l’arme de Sénèque contre Agrippine. Mais la victoire était encore incertaine. Par ses délateurs, sa mère apprit vite que Néron échappait à ses bras incestueux et à ceux des putains ou des passantes de Rome ; ils l’avaient avertie de la place de plus en plus grande que prenait chaque nuit Acté.
Néron s’était aussi choisi pour intimes compagnons deux jeunes gens, Otho et Claudius Senecio, d’une beauté pure, au corps épilé, aux yeux à peine fardés, aux cheveux teints. Il passait ainsi de leur couche à la chambre où l’attendait Acté.
À plusieurs reprises, on avait entendu au palais les criailleries d’Agrippine. La mère s’estimait trahie, la maîtresse se sentait abandonnée, la souveraine reléguée à l’écart du pouvoir.
Elle avait appris que Néron, conseillé par Sénèque, avait donné l’ordre que son profil disparaisse des pièces de monnaie. Aussi se démenait-elle, essayant de reprendre l’avantage, harcelant son fils.
J’ai été le témoin muet d’une de ces scènes.
Elle s’était mise à hurler. Ainsi, son fils l’humiliait ! tempêtait-elle. Il lui donnait pour rivale une affranchie, une ancienne esclave que l’on disait même juive ou adepte de cette secte de Christos, plus vile encore. Lui, l’empereur, préférait donc à sa mère, sœur d’empereur, et à son épouse, fille d’empereur, une servante, une vaincue ! Sacrilège !
Je regardai Néron, qui baissait la tête comme un enfant fautif mais buté.
Il menaça Agrippine d’abdiquer, et elle s’affola.
En ce cas, elle perdrait tout, à moins qu’elle ne choisît de préparer l’accession à la magistrature impériale de Britannicus.
— Mais si Britannicus règne, commenta Sénèque, son premier acte sera de faire assassiner Agrippine, la meurtrière de son père. Elle le sait.
Je la vis, ainsi que l’avait prévu Sénèque, renoncer à ses griefs et à ses menaces, enlacer Acté, l’attirer dans sa chambre, inviter la jeune femme à s’allonger, se glisser près d’elle et, d’un geste, demander à Néron de les rejoindre en compagnie d’Otho et de Claudius Senecio, ses deux jeunes compagnons aux corps graciles.
Néron ne se prêta à ces jeux qu’une fois, puis refusa de retourner dans la chambre de sa mère, interdisant formellement à Acté, à Otho et à Claudius Senecio d’y suivre désormais Agrippine.
Et, comme pour bien marquer qu’elle appartenait au passé et qu’il comptait bien l’y reléguer, l’étouffer sous les honneurs, il lui fit envoyer une robe et des pierreries qui avaient appartenu aux épouses et mères d’empereurs défunts.
C’était un présent magnifique, mais
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