Néron
Agrippine a poussé des cris de rage qu’on a entendus dans tout le palais. On lui offrait des parures pour la priver du pouvoir ! répétait-elle. Néron l’évinçait en la couvrant de tissus lamés d’or et de bijoux !
Elle venait d’apprendre que l’empereur avait supprimé la charge de ministre des Finances occupée jusque-là par Pallas l’affranchi, son amant, son complice à elle.
Je l’ai croisée alors qu’elle avançait, précédée de ses deux licteurs. Elle était allongée dans sa litière, hâve et fardée, la tête penchée comme un fauve blessé.
17
— Rien n’est plus dangereux qu’un fauve blessé, me répétait Sénèque.
Il marchait à pas lents dans l’atrium de sa villa, le buste penché en avant, la tête inclinée, les mains croisées dans le dos.
Il s’arrêtait souvent, se redressait, et j’étais frappé par l’expression de son visage qui paraissait amaigri, des rides profondes lui creusant les joues, le front plissé, les sourcils froncés.
Il semblait m’écouter avec attention.
Je lui avais remontré qu’Agrippine était abandonnée par la plupart de ses proches. Les sénateurs se félicitaient des mesures prises par Néron, conformes à la tradition qui voulait qu’une femme, fut-elle mère, sœur, épouse d’empereur, ne se mêlât point de la chose publique. Le gouvernement du genre humain ne devait pas être influencé par les passions d’une femme.
Sénèque hochait la tête.
— La violence, la férocité, l’hypocrisie, la ruse d’une femme blessée, qui peut les imaginer et donc y faire face ? Je crois, Serenus, qu’Agrippine est prête à tout, y compris à ce qui nous paraît le plus dément. Elle joue sa vie.
J’étais surpris par ses propos, son attitude, l’inquiétude et la peur qui semblaient l’avoir empoigné, dissipant cette assurance qu’il avait manifestée depuis que je le connaissais et durant ces dernières semaines au cours desquelles il avait inspiré la politique de Néron.
N’avait-il pas de plus en plus de pouvoir ?
Il était, avec Burrus, l’ami du prince, son conseiller le plus proche.
Auréolé de gloire militaire, brandissant sa main mutilée comme le plus grand des trophées, Burrus osait tenir tête à Néron, et l’empereur l’écoutait, respectueux, semblait-il, de ce soldat rigoureux et intègre qui avait la confiance des prétoriens qu’il commandait.
Comment Agrippine aurait-elle pu vaincre ces deux hommes qui côtoyaient Néron à chaque instant, l’incitaient à annuler les décrets et règlements édictés par l’empereur Claude, à dire que ce père adoptif avait été lâche et borné, un despote rempli de sottise et de cruauté qu’il fallait cesser d’honorer ? Ni stèle ni statue pour son tombeau, mais un simple muret, manière de marquer que le temps des funérailles grandioses était révolu, que Claude n’était pas un nouvel Auguste, et qu’en conséquence Agrippine, son épouse, n’était rien d’autre que la veuve d’un homme dont il ne fallait pas célébrer la mémoire !
Quant à la fille de Claude, Octavie, Néron manifestait en toute occasion le mépris dans lequel il la tenait. Qu’elle, son épouse, se contentât des insignes du mariage ! Pour le reste, les nuits de plaisir, les âcres jeux du corps, il y avait Acté, Otho et Claudius Senecio.
En m’écoutant, Sénèque paraissait rasséréné. Il s’asseyait comme à son habitude sur le bord de l’impluvium.
— Il faut frapper Claude pour atteindre Agrippine, acquiesçait-il.
Il me confiait qu’il avait commencé d’écrire un texte plein de sarcasmes contre Claude.
Il ricanait.
— Je sculpte son visage pour les temps futurs ! Le divin Claude devient citrouille, une pauvre citrouille ridicule. Personne, après m’avoir lu, n’osera se réclamer de lui.
Puis, tout à coup, il se renfrognait, les rides marquant à nouveau son visage.
— Agrippine est comme un fauve blessé, répétait-il.
Il recommençait à marcher, soucieux, s’immobilisant pour me révéler qu’elle avait commencé à rédiger des Mémoires dans lesquels elle se justifiait et exaltait la mémoire de Claude. Elle affirmait qu’elle n’était en rien responsable de sa mort. Le Sénat, Néron n’avaient-ils pas déclaré qu’il avait été victime d’une fatale maladie ? Et si l’on avait des doutes – elle-même en nourrissait à présent –, n’était-ce pas Néron et lui seul qui répétait que
Weitere Kostenlose Bücher