Nice
précisa Renaudin. S’il s’en tire, il pourra
nous dire.
— Vous avez besoin de ses confidences ? demanda
Ritzen.
Aveux, questions. Ce n’était pas avec les mots des victimes
et des coupables que Ritzen reconstituait le puzzle. Tant de regards se
croisaient sur eux. Tant de mouchards.
— Les Sori, monsieur le Commissaire, eux, ce sont des
durs. Les autres les ont pas oubliés. Ils viendront les chercher ici, je vous
le dis.
Quelques mois, déjà, que Luigi Revelli avait donné le
renseignement, un matin.
— Je vous prépare un café, monsieur le Commissaire ?
Luigi posait la tasse de la main gauche sur le comptoir du Castèu, poussait le sucrier avec son crochet de fer.
Ritzen, une ou deux fois par mois, venait au Castèu.
— Je renifle, expliquait-il à Renaudin. Les dossiers –
il montrait son bureau – oui, indispensable, mais il faut sentir, toucher.
Il quittait l’hôtel de police, traversait le Paillon,
descendait par la Porte Fausse dans la vieille ville, entrait dans deux ou
trois bars, n’échangeait que quelques mots, mais cette façon empressée des
patrons de s’avancer vers lui, de lui serrer la main, de le raccompagner :
« Quand vous voudrez, monsieur le Commissaire, on vous prépare la daube,
ou le stockfish, prévenez-nous, vous verrez. » Ritzen paraissait tout à
coup se souvenir : « Des Italiens, des vrais, de là-bas, avec de
l’argent, ça ne te dit rien ? demandait-il. Tu n’as pas vu ça ici. Ils
n’ont eu besoin de personne ? Si tu sais quelque chose, tu connais notre
adresse, n’est-ce pas ? »
Le préfet téléphonait :
— Ces règlements de comptes entre étrangers, ces
Italiens. Au ministère, ils s’inquiètent.
Ritzen aussi s’irritait.
À la cathédrale Sainte-Réparate, des Italiens avaient fait
bénir le drapeau de la section niçoise du Fascio. Sur le parvis, des immigrés
antifascistes. Courses dans les ruelles, coups de couteau, et Barnoin le
communiste qu’on arrêtait, place Rossetti, qui niait, qu’on gardait en prison
quelques jours, qu’on relâchait, faute de preuves.
Des fascistes s’étaient réfugiés au Castèu. Luigi
avait menacé leurs poursuivants d’un revolver, disait-on, les forçant à
reculer.
— Tu as le port d’armes, maintenant ? lui
demandait Ritzen.
Luigi montrait son bras droit, levait le crochet.
— Voilà mon arme, monsieur le Commissaire, et c’est
là-haut, près de Verdun, que je l’ai gagnée.
— On a vu autre chose.
Luigi souriait, se servait un verre de vin rouge, précis,
redressant d’un mouvement sec la bouteille.
— Ils ont mal vu. Mais vous savez, ici, c’est chez moi,
et les bolchos y entreront pas. Je les connais.
Ritzen s’asseyait. Rose Revelli nettoyait rapidement la
table de marbre.
— Qu’est-ce que je vous sers ?
Ritzen refusait, disait :
— Tu fais de la politique, il paraît ? On t’a vu
au consulat italien. Tu nous abandonnes ?
— J’ai encore des parents, là-bas, commençait Luigi, je
demandais des nouvelles.
— Viens t’asseoir.
Revelli avait la même démarche qu’autrefois, quand il
n’était qu’un gamin que le député Merani envoyait dans les bistrots écouter les
conversations, ou bien apporter une enveloppe « pour qu’on vote bien ».
Un jour, beau gosse aux joues déjà trop rondes, il s’était – comme ce
matin – assis devant Ritzen.
— Dis-moi, commençait Ritzen, ça doit faire vingt-cinq
ans qu’on travaille ensemble ?
Luigi riait, détendu, semblait-il, passif, mais, sous la
bouffissure des traits, la vivacité de l’homme aux aguets.
— Pour les Italiens, reprenait Ritzen, tu as tort.
Bistrot, bordel, petits coups, sans compter la fille, tu sais, celle qu’on a
retrouvée dans ton hôtel, tu avais un alibi pas très solide. On t’a passé
beaucoup de choses.
— J’ai toujours…
— Luigi Revelli se levait, prenait la bouteille sur le
comptoir, la coinçait entre sa poitrine et son avant-bras, puis il saisissait
le verre. Ritzen l’aida à poser la bouteille sur la table.
— C’est vrai, continua Ritzen, tu as toujours été
régulier. Nous aussi. Mais attention, cette fois. Un pays étranger, espionnage…
Il fit le geste d’épauler un fusil :
— Mata Hari, acheva Ritzen. Et on peut, avant…
Il refit le même geste.
— Avant d’en arriver là, on peut te reprendre tout ça.
Pas difficile, tu le sais bien.
Ritzen se levait, serrait la main de
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