Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Nice

Nice

Titel: Nice Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
Vom Netzwerk:
maintenant, c’est plus moi, alors…
    Karenberg souriait. Il paraissait ne pas entendre Carlo
Revelli et se frottait le menton du bout des doigts.
    — Quelle sève, dit-il après que Carlo se fut éloigné.
    Peggy avait pris le bras de son mari, et ils se dirigeaient
tous les deux, lentement, vers le parc, marchant au même pas, avec la même
inflexion du corps vers l’avant, et à les voir ainsi, de dos, lui, les rares
cheveux blancs flottant sur sa nuque, elle, blanche aussi, tous les deux la
tête levée comme s’ils observaient le ciel, on pouvait imaginer un frère et une
sœur vieillis ensemble. Ils trébuchèrent, se mirent à rire en se serrant l’un
contre l’autre, Frédéric nouant ses doigts à ceux de sa femme :
    — Il n’y a qu’un homme du peuple, dit-il, pour garder,
après toute une vie, une telle hargne, une force.
    — Du peuple ? dit Peggy. Aujourd’hui…
    Karenberg lui serra les doigts :
    — Du peuple, Peggy. Bien plus que moi, il l’a bien dit :
« Vos discours, vos idées… »
    Elle haussa les épaules et, à son tour, lui serra la main.
    — Tu dis toi-même, les origines, quelle importance,
cela dépend de ce qu’on en fait. Revelli ? Un ambitieux, mais tu es
fasciné, tu as honte d’être le baron Frédéric Karenberg.
    Ils étaient arrivés au bout de l’allée bordée de palmiers.
Ils revinrent lentement vers l’hôtel qui se découpait sur l’horizon, comme une
avancée de la chaîne des Maures et de l’Esterel.
    — Que voulais-tu qu’il fasse ? commença Karenberg.
Qu’il se laisse écraser ? Il avait une force à employer, d’autres
deviennent fous, boivent…
    — Sauvan, dit Peggy, et l’autre Revelli, celui qui est
avec vous, Dante, eux…
    — Oui, d’autres, c’est vrai.
    Karenberg s’arrêta. Peggy le sentait contre elle,
s’abandonnant.
    — Et si la révolution ne vient pas, continua-t-il, ou
bien si, parfois je me demande, si elle ne change rien…
    Elle retira son bras, s’écarta :
    — Je n’aime pas, Frédéric. Tu joues avec les idées,
contre toi, tu t’acharnes.
    — Il faudrait se taire, alors ? dit-il en lui
reprenant la main. S’aveugler ? Tu sais ce qui se passe là-bas ? Tu
le sais, je t’ai lu…
    Lénine mort, les autres qui se déchiraient, ce numéro 5
de la revue Novy mir, que Karenberg avait reçu en 1926, une longue
chaîne de complicités et de hasards pour le faire parvenir jusqu’à lui, et
cette courte nouvelle de l’écrivain Boris Pilniak qu’il lisait à Peggy, le
Conte de la lune mal éteinte. « Maintenant, ils assassinent »,
disait Karenberg à voix basse en terminant sa lecture. « Pilniak l’accuse,
Peggy, continuait Karenberg, tu comprends, il accuse Staline d’avoir fait opérer
Frounze pour le tuer, l’assassiner. C’est pour cela qu’ils ont saisi Novy
mir. » Karenberg se prenait la tête à deux mains, relisait la nouvelle
de Pilniak, s’interrompait, murmurait : « Ils ont bien tiré sur les
marins de Cronstadt en 21, alors ? »
    — Je l’ai lu, répétait-il dans le parc du Grand Hôtel
des Iles.
    — Si rien ne change jamais, dit Peggy.
    Sa main se crispa sur celle de Frédéric, elle pensait à son
fils.
    — Ne dis rien à Jean, continua-t-elle d’une voix
étouffée. Laisse-le découvrir s’il y a quelque chose à découvrir. Ne tue rien à
sa place.
    — Je ne dis rien, dit Frédéric. À toi, oui. Mais je
sens. Je sais que ce n’est pas là-bas, plus là-bas.
    — Ailleurs… ? commença Peggy.
    — Ailleurs, dit-il, si tu veux.
    Ils avaient repris leur marche, longeant le bord des rochers
du Cap qui dominait la mer soulevée par une houle assoupie.
    — Mais, reprit Karenberg, pourquoi ailleurs, puisque
là-bas…
    — Rentrons, dit Peggy.
    Ils se dirigèrent vers l’hôtel que commençaient à quitter
les invités. Comme ils approchaient du perron, ils aperçurent Nathalie
Hollenstein, attentive, écoutant un jeune homme qui parlait, mains levées
devant son visage. Elle ne les remarqua pas, et ils s’écartèrent, entendant
seulement Alexandre Revelli qui disait : « La poésie aujourd’hui, la
poésie… »
    — Ailleurs, dit Karenberg.
    Cette voix surprise, juvénile et inconnue, l’attention de Nathalie,
cette façon grave, la tête penchée, qu’elle avait d’écouter. Le mot poésie,
l’obscurité laiteuse, l’éclat des projecteurs et la diffuse blancheur des nuits
méditerranéennes, l’enthousiasme de cette voix,

Weitere Kostenlose Bücher