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Nice

Nice

Titel: Nice Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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qu’ils
l’écoutaient. Elle commençait à manger, il fallait qu’elle mange beaucoup, maintenant,
qu’elle prenne pour lui qui devait commencer à dévorer dedans.
    — S’il n’avait pas ces idées, disait-elle en regardant
Dante, s’il ne se mettait pas en avant. On peut avoir des idées, mais alors,
surtout maintenant, avec tout ça…
    Sa voix était assurée, ample. Tout ça, c’étaient la crise,
les réunions de chômeurs au Palais des Fêtes, et quand ils voulaient manifester
dans l’avenue de la Victoire, la police, pèlerines levées, les forçait à reculer ;
c’étaient les affichettes qui barraient les vitrines des magasins : Achetez
français !
    Lucien, qui s’occupait maintenant de l’épicerie de ses
grands-parents Millo, disait : « Y a plus d’argent. Les gens
hésitent, ils prennent un demi-kilo… »
    Tout ça, c’était l’enfant qu’elle portait. Et le pouvoir
qu’il lui donnait.
    Quand Dante s’approchait d’elle et qu’il voulait, Denise
repoussait sa main, son corps :
    — Si tu crois que j’ai envie, disait-elle.
    Et peu à peu, vraiment, au cours de l’hiver 32, elle perdit
le désir, comme si elle voulait oublier que c’était du désir et de Dante que
l’enfant avait surgi. Maintenant qu’il était en elle, accepter Dante encore,
c’était comme si un homme, un étranger avait voulu prendre à l’enfant une place
qui n’était qu’à lui, pour lui, dans son ventre à elle. Ou le salir, ou le
blesser.
    Parfois, parce que Dante devenait pressant, et que cela
faisait longtemps qu’elle se refusait, Denise laissait Dante s’enfoncer en
elle. Mais elle ne perdait plus le souffle. Elle était d’abord passive, elle se
sentait lourde, plus grasse, et elle l’était devenue, pour protéger l’enfant,
prévoir pour lui des réserves de nourriture, et aussi se défendre, elle, contre
les vibrations du désir, les étouffer. Pourtant, au bout d’un moment elle les
sentait, comme une ondulation venant du fond et qui allait bouleverser la
surface, s’accorder aux mouvements de Dante, l’entraîner. Elle résistait, elle
avait peur, là, où était l’enfant. Elle allait, si elle se laissait emporter,
être comme avant, sans rien, dépossédée de ce qui n’était qu’à elle. Elle disait,
tout à coup nerveuse, hostile : « Assez, assez. » Dante
s’arrêtait brusquement. Elle devinait son inquiétude :
    — Tu me fais mal, disait-elle.
    Il la quittait, s’asseyait sur le bord du lit, puis, sans un
mot, se couchait sur le côté et s’endormait. D’autres fois, rageusement, il la
serrait contre lui, la main sous le dos, et quand il s’écartait d’elle, elle se
tournait, hostile.
    — Tu es un animal, disait-elle. Tu es brutal. Un
ouvrier.
    Mais, au fur et à mesure que les mois passaient, qu’elle
grossissait, elle eut plus d’autorité, Dante devenait plus timide.
    — Tu veux bien ? demandait-il.
    Et, souveraine, elle lui accordait cette faveur.
    De la nuit, elle étendit son pouvoir au jour.
    En février 1932, Jean Karenberg vint les voir, un dimanche.
Elle ne savait comment agir avec lui. Il avait les mains, les chemises d’un
homme riche, de ceux qui, comme Philippe, l’ami de Violette, ou comme le
directeur de la Barclays, savent s’habiller. Jean Karenberg s’asseyait dans
leur cuisine. Elle le regardait boire le café qu’elle avait servi, s’excusant
de ne pouvoir mieux le recevoir, mais ils avaient transformé la petite salle à
manger en chambre pour l’enfant qui allait naître.
    — Laisse, disait Dante. Karenberg, c’est un camarade,
et il ne se formalise pas.
    — Quand même, s’il m’avait prévenue, disait-elle à
Karenberg.
    Jean levait la main pour l’interrompre :
    — C’est très bien, très bien.
    Elle lui trouvait un air supérieur avec ses lunettes rondes,
ces cheveux blonds soigneusement peignés, tirés en arrière, comme collés sur le
crâne. Il répétait un geste, la main sur la nuque, et elle vit au coude de sa
veste sport, toute simple, d’un tissu couleur feuille-morte, sûrement anglais,
la pièce de cuir fauve. L’élégance. Elle eut une bouffée de colère contre
Dante.
    — Il ne me prévient jamais, répéta-t-elle.
    — Je vous assure, c’est très bien, dit Jean Karenberg.
Mais si vous avez encore une tasse de café… J’ai très peu dormi.
    Le sans-gêne des riches. Ça, un camarade ? Dante, un
naïf qu’on utilisait. Il en fallait. Tout en préparant le café,

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