Nice
« Pour toi,
maman, je l’ai gardé », ou bien, le samedi, quand elle le voyait, au coin
de la rue Barla – là où, avec Millo, souvent, elle aussi… – rejoindre
Lily.
La paix.
Mais Dante était venu, peu après Munich, et comme elle
disait : « La paix, cette fois… », il avait répondu sans lui
expliquer : « Si tu crois que c’est fini. » Et Louise sentait
bien que tout bougeait. La grève, à la fin de novembre, des bagarres dans la
rue de la République, des tramways qui passaient avec, sur la plate-forme, des
gendarmes casqués, mousqueton à l’épaule, et une voisine, à l’épicerie, qui
disait : « À la compagnie des trams, ils en ont mis sept cents à la
porte, parce qu’ils ont fait grève. Sept cents. On n’avait plus vu ça depuis la
guerre. » Louise racontait à Dante, mais il l’interrompait : « La
grève, moi, je l’ai pas faite, j’ai eu la frousse, je me suis dégonflé. »
— Pour une fois que tu fais quelque chose
d’intelligent, avait dit Denise.
Guerre. Ils en parlaient en ce Noël 38.
— Sam, commençait Violette, dit qu’il faudra la faire,
parce que Hitler, il voudra toujours davantage.
— C’est pourri, disait Antoine. Les gens, de Hitler…
qu’on leur foute la paix, voilà ce qu’ils demandent, et pourquoi pas ?
Dante écoutait son frère. Se souvenait.
Lebrun, au mois de juin 38, avait acheté une petite Citroën.
Ils étaient partis, les cannes à pêche dépassant du coffre. Dante assis sur le
siège arrière, Yvette avait pris Roland sur ses genoux, devant, près de son
mari. Lebrun klaxonnait souvent, clignait de l’œil à Roland.
— Ça te plaît, fiston ? demandait-il.
Il riait, donnait un nouveau coup de klaxon. Ils avaient
longé la baie de Sainte-Maxime, et, au delà de Saint-Tropez, ils s’étaient
arrêtés dans la pinède qui couvrait le cap Camara. La houle incessante des
cigales, ressac aigu, la bâche que l’on attachait aux troncs de quatre pins,
Yvette qui sortait la marmite pour la soupe de poisson, et Roland qui courait
vers les rochers, devançant Dante et Lebrun. Ils lançaient leur ligne,
découvraient la longue ride de sable blanc, Pampelonne, plage déserte, sur
laquelle, dans un bourdonnement irrégulier, venait se poser, à la fin de la
matinée, un avion de l’Aéronavale. Roland s’élançait, revenait en criant :
« Ce sont des marins. »
— Ces cons, disait Lebrun, ils nous emmerdent
jusqu’ici. S’il y en a une autre, moi, je suis hors course, mais si les jeunes
acceptent encore de se faire crever la paillasse, alors c’est que vraiment…
— Cette fois-ci, pas la même guerre, commençait Dante.
Lebrun avait planté sa canne dans un rocher.
— Merde, criait-il, tu l’as faite, l’autre, et tu crois
que les guerres, ça change ? Tout, tu entends, tout plutôt que de remettre
ça, tout.
Il racontait, Dante, à Antoine, à Rafaele.
— Alexandre, le fils de Carlo, commençait Violette, dit
la même chose, personne ne veut la guerre, personne.
— Il faudra bien, dit Rafaele, il faudra bien.
Louise avait commencé à pleurer. Ils continuaient de parler,
de la grève de novembre, et Antoine disait :
— Le Front populaire, terminé. Ah ! on nous l’a
assez dit, ton grand parti communiste, Thorez, une grève, il faut la terminer,
et tu t’étonnes que personne la fasse, ta grève ?
Denise empêchait Dante de répondre.
— Votre politique, disait-elle, vous ne connaissez
rien. M. Baudis des amis, nous les avons vus, hier, ils nous expliquaient que
la guerre, maintenant, il n’y a plus de risques. Vous, on dirait que vous la
voulez, la guerre. Laissez les gens tranquilles, on a assez de soucis avec les
enfants. Et toi – Denise se tournait vers Violette – ton ami Sam, on
a su pour l’exposition. Dante, dans la nuit…
La sonnerie d’alarme les réveille. Dante traverse la cour de
l’Hôtel Impérial, des silhouettes qui disparaissent sous le porche, vers la rue
de France. Il court derrière elles, une voiture qui démarre, il tente de noter
le numéro, mais une autre voiture surgit, montant sur le trottoir, accélère,
Dante bondit sous le porche.
— Des cagoulards, explique-t-il. Sûrement.
Les toiles déchirées, l’inscription : Les juifs,
pourriture de…
— Remarquez, dit Denise, pour les juifs, on en voit de
plus en plus. Sur la Promenade des Anglais, il n’y a qu’eux. On entend parler
toutes les langues, mais pas le français. Mon
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