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Nice

Nice

Titel: Nice Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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que mon père était mort ? Que j’étais juif ?
Je ne savais plus choisir entre mes impostures. Je voulais rompre avec tous
ceux qui me connaissaient, Julia d’abord, pour échapper à mes fables.
Recommencer, ailleurs, vrai peut-être. Mais il me fallait prendre garde.
    Un jour que je rôdais dans les quartiers du Parc Impérial,
près du club de tennis, une femme m’avait appelé : « Tu veux ramasser
des balles ? Tu auras… » Elle lançait un chiffre, j’entrais sur le
court, je courais le long des grillages, respirant la poussière ocre, et brusquement,
comme la partie s’achevait, qu’elle me tendait le billet, j’avais aperçu,
venant vers nous, des jeunes filles et je croyais reconnaître des amies de
Julia. Je sautais le filet, voleur surpris, je dévalais le boulevard. Pourquoi
tous ces regards à chaque instant ? Cette impression que j’avais d’être
observé ?
    Je choisissais les quartiers vides, Cimiez et ses villas
encore fermées. Bernard Halphen avait regagné Paris. Je l’avais, avec Violette,
accompagné au train. Ses cheveux recommençaient à boucler.
    — Vous ne parlez guère, disait Violette.
    Je lui en voulais peut-être de me quitter, non pas de
changer de ville mais de rejoindre, maintenant que la persécution était finie,
le monde de Julia et de me laisser avec Catto, ici. Il cessait d’être juif. Je
le restais.
     
    J’étais donc, cet été-là, seul. Je m’appuyais aux grilles
d’un parc où les Américains avaient installé leurs cuisines. Je tendais la
main, je répétais quelques mots : Give me cigarette, Give me
chewing-gum. Aucune honte ici. Les soldats n’avaient pas de regard, les
gosses dont j’étais lançaient leurs phrases comme on appuie sur la poignée
d’une machine à sous. Give me, give me, parfois c’était le gain, un
soldat nous tendait un paquet, et nous le suivions alors, imitant sa démarche
souple, rêvant à ses chaussures à haute tige, à ses foulards de soie blanche,
voulant plus.
    Avoir. Ce fut mon maître mot. Par le don, le vol, l’échange.
J’appartins à ces groupes de quelques adolescents qui faisaient le guet à
l’entrée des hôtels. J’évitais l ’Hôtel Impérial car je craignais d’y
être surpris. Je me tenais près des lauriers de l ’Hôtel Continental, je
m’avançais vers les soldats Do you sell…
    J’avais revendu à Catto une cartouche de cigarettes volée
dans une jeep. Je pouvais donc acheter. Je montrais les billets, j’entraînais
les soldats dans une porte. Shoes. Ils me donnaient un rendez-vous. J’essayais
dans les caves de l’Hôtel Impérial des chaussures aux longs lacets qui
serraient la cheville, facilitaient la course silencieuse. Je mentais bien sûr.
    — Qui t’a… ? commençait ma mère.
    — Catto. Son père travaille pour les Américains.
    Je filais.
    Ce fut un été de joie, de rapines, de commerce, de
cigarettes au goût de pain d’épices, fumées au bord de la mer, sur les grèves
interdites. Jamais je n’avais été aussi libre. Cette langue étrangère dont je
n’utilisais que quelques mots, vendre, donner, chaussures, couverture, elle me masquait. Ces soldats dont je savais qu’ils ne séjournaient à Nice que
sept jours, qu’ils ignoraient tout de mes origines, j’avais l’audace de les
aborder, de les affronter parfois.
    Je n’étais pas dupe de leurs gestes obscènes quand, dans un
couloir, alors qu’ils me proposaient une ration de cigarettes et que je
m’apprêtais à les payer, ils repoussaient mon argent, plaçaient la main sur
leur sexe ou sur le mien. Je m’écartais, me dirigeais vers la rue, ils
juraient, un drôle de mot dont le son me revient fackenbladymaster et
puis, de leur voix nasale, ils disaient : Give me money.
    Je cachais dans les caves de l’hôtel mes marchandises,
quelques paires de chaussures, deux couvertures, des cigarettes. Puis je ressortais,
me dirigeais vers le passage dont le nom était si âpre à ma bouche que je
n’osais le prononcer.
    Les enseignes des boîtes commençaient à clignoter, pauvres
étoiles que les restrictions d’électricité limitaient à quelques feus, Star
Hôtel, Whisky Night-Club. Des soldats encore. Ceux au casque blanc de la
Military Police, brassard, matraque, mastication régulière, et les autres qui
poussaient de l’épaule les portes à battants qu’on voit dans les westerns.
    Je me tenais à l’extrémité du passage. Je serrais les
billets dans mon poing, ils étaient contre mon

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