No Angel
trop à cause de Rudy.
J’étais heureux que la maison soit vide. Même le chien était parti. Je n’avais donc pas de raison de changer, aucune nécessité de redevenir quelqu’un que je n’étais pas. Je pouvais rester Bird, visiteur dans mon propre foyer. Je n’avais pas besoin de feindre d’être Jay. Le pire, quand je rentrais chez moi, c’est que je n’avais aucun répit. Les Angels ne savaient que ce que je leur disais et leur montrais ; Gwen, elle, me connaissait depuis dix-huit ans. Je ne pouvais rien lui cacher, rien lui faire accroire. Rentrer chez moi était devenu plus difficile que traîner avec les Angels. Cela ne m’attristait pas, cela me mettait en colère. En colère parce que je commençais à penser qu’il était anormal que je sois obligé de changer, que je devrais pouvoir simplement décider de rester dans la peau du personnage. Gwen ne l’aurait pas accepté et elle aurait eu raison, mais, à cette époque, je ne voyais pas les choses comme elle. En cet instant seul importait le fait que la maison était vide ; et j’étais soulagé de ne pas avoir à me sentir coupable de ne pas être moi-même.
Dimanche matin, j’appelai Gwen sur son mobile et lui annonçai que tout était réglé. Elle dit qu’elle rentrerait dans l’après-midi. Je répondis qu’il fallait que je reprenne le travail tôt, qu’il y avait une réunion le lendemain matin et que je devais rédiger des rapports. Elle dit que je manquais aux enfants et je répondis qu’ils me manquaient aussi. En réalité, je n’avais pas beaucoup pensé à eux pendant le week-end… Dans mes pensées, ils étaient des abstractions appartenant à Jay Dobyns. Mais quand je prononçai les mots, je m’aperçus que c’était vrai : ils me manquaient vraiment. Ils me manquaient même tellement que c’en était douloureux. Néanmoins, je dis à Gwen que je ne serais pas là et la chargeai de leur dire que je les aimais. Elle répondit qu’elle le ferait, bien entendu, et raccrocha.
J’arrivai à Phoenix dimanche à midi. Le soir, après avoir consacré des heures au travail administratif, j’enfilai mon blouson des Solos, sautai sur ma moto et me rendis au Sugar Daddy, à Scottsdale, où je savais que les Angels allaient de temps en temps. Je bus de la bière, jouai au billard et incarnai mon personnage.
Personne ne vint.
Au début de la semaine, Pops m’annonça que Joby l’avait appelé plusieurs fois à propos de ce qu’il m’avait demandé… les silencieux.
On évoqua le problème à la réunion du lundi. Il n’était pas question que je mette Joby en relation avec Tim Holt, qui m’avait fourni des silencieux à Bullhead pendant l’opération Riverside. On décida de la jouer fine. Je savais que Holt fabriquait toujours ces objets et que Smitty était au courant. Je téléphonai à Joby et lui dis qu’il faudrait que Smitty le mette en relation avec Holt, parce que je n’irais pas à Bullhead avant longtemps. Il accepta sans difficulté. Problème réglé.
L’éthique m’interdisait de fournir directement des silencieux à Joby, mais je savais aussi que rien ne pourrait l’empêcher de s’en procurer. En fait c’est tout simple : les flics ne peuvent pas empêcher les délinquants d’effectuer des achats illégaux. Si nous en étions capables, le monde serait très différent. Par exemple : je pouvais décider de vendre un pistolet mitrailleur au suspect X, mais je ne pouvais m’arranger pour qu’il n’en achète pas à quelqu’un d’autre ; l’arrêter à cause de cette transaction, par exemple, ou lui acheter ce pistolet mitrailleur et l’utiliser plus tard contre lui. Tel fut le principe appliqué dans le cas de Joby et des silencieux, mais on mordit sur la ligne blanche en l’adressant à Smitty qui, logiquement, allait le mettre en contact avec Holt.
Pendant cette semaine, on travailla d’arrache-pied. Timmy acheta à Cal un 9 mm Ruger dont Bob ignorait l’existence, et avec Pops j’achetai des sachets minuscules de meth à Aldo Murphy, un Angel de Phoenix. Il habitait près de notre maison de Romley Road avec sa femme et leur fille de dix ans, enfant toujours sale, sous-alimentée, affublée du prénom de Harley Angel.
On apportait les sachets au Carré, où leur contenu était analysé, et Slats aboyait :
— Quoi ? Encore un malheureux gramme ? J’en ai marre de cette merde.
On répondait qu’on en avait assez, nous aussi. Il suppliait :
— J’ai besoin
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