No Angel
est une petite ville.
Il voulait dire : Bullhead City.
— Peut-être mais, de mon point de vue, tu es plus ou moins le maire et je ne suis même pas vraiment un citoyen.
Il garda le silence, mais son esquisse de sourire en coin montra qu’il était flatté. Je poursuivis :
— De toute façon, je voulais juste me présenter et dire que tu tiens vachement bien les choses en main.
Smitty sourit à nouveau et vida son verre. J’eus l’impression qu’à ses yeux je n’étais rien d’autre qu’un groupie.
— Merci. Content d’avoir fait ta connaissance, Bird. J’espère qu’on se reverra.
Puis il s’éloigna dans la foule du casino. Les clients ordinaires et les Angels s’écartèrent pour le laisser passer.
Peu après son départ, un Angel vêtu d’un blouson de Dago (San Diego, Californie) s’assit sur le même tabouret, accompagné d’autres Angels originaires de la même ville. Ils commandèrent de la bière. Le type qui avait pris le tabouret de Smitty était trapu et faisait penser à un Père Noël jeune : cheveux ondulés, barbe longue et large, petits yeux noirs, joues roses. Je lui tendis la main.
— Salut, je suis Bird, de Bullhead City. Je peux t’offrir un whisky ?
Il me serra la main.
— Salut. Je m’appelle Ramona Pete. Pas de whisky ce soir, Bird, mais merci.
Il était très sympathique et on parla du Run pendant quelques minutes, tandis qu’il buvait sa bière. Quand il eut terminé, il m’adressa un large sourire.
— Si tu passes par Dago, vient me voir au Dumont’s Bar. Tu peux pas le manquer. Il est dans la même rue que notre club.
— Cool. J’y manquerai pas.
Il s’en alla.
On resta longtemps au bar. Smitty passa à nouveau plusieurs fois, généralement en compagnie d’autres Angels. L’un d’entre eux est resté gravé dans ma mémoire, pas seulement à cause de son apparence, mais aussi parce qu’il parla deux fois à l’oreille de Smitty.
Cet homme était maigre et nerveux. Ses badges – insignes en tissu cousus sur le devant de son blouson – indiquaient qu’il appartenait au club de Skull Valley et qu’il faisait partie des « Filthy Few ». Cela signifiait qu’il avait accompli des actes de violence extrême pour son club, probablement un meurtre. Il avait une abondante chevelure gris bateau de guerre, coiffée en arrière et très longue sur la nuque. Il portait des lunettes de soleil et avait les dents en avant. Il me fit penser au lapin de Nesquick.
Smitty et le Lapin disparurent pendant un moment de notre radar, mais finirent par nous rejoindre à la table de blackjack, où nous étions installés. Smitty semblait nerveux et le Lapin transpirait. Il avait glissé les mains dans les poches de son pantalon et serrait les coudes contre ses flancs. Ils parlèrent avec animation pendant environ cinq minutes puis se séparèrent, et le Lapin s’éloigna d’un pas vif. Smitty n’avait pas l’air content. Il rejoignit d’autres Angels près d’une autre table de blackjack et adressa un signe de tête au croupier, qui cessa de distribuer les cartes. Smitty leur parla à voix basse et énergiquement.
On reporta notre attention sur nos verres, tranquilles, comme si les Angels n’étaient pas là et ne nous intéressaient pas.
Quand on se tourna à nouveau vers la table de blackjack, ils étaient partis. On jeta un regard circulaire. Tous les Angels avaient disparu. Koz dit :
— Qu’est-ce que c’est que ce bordel ?
Je haussai les épaules. Quelque chose se préparait, mais on ne savait pas quoi, voilà tout.
On vida nos verres, on paya et on sortit. Il était presque deux heures du matin.
Tandis qu’on regagnait nos motos, de nombreuses voitures de police passèrent à une vitesse folle sur le Strip de Laughlin. Des gens couraient dans la même direction que les véhicules de patrouille, mais la majorité allait en sens inverse. Je sentis presque la folie, comme si ces troubles avaient un parfum de soufre.
— Bon, je suppose qu’on sait où les Angels sont allés, dit Koz.
Il y a, au Harrah’s de Laughlin, un long bar appelé Rosie’s Cantina. Il est rectangulaire et des colonnes rouges se dressent aux coins. Les clients s’y pressent, jouent au keno et fument de longues cigarettes. Tout autour, c’est le spectacle habituel des casinos américains : machines à sous propres à dispenser l’extase, dizaines de consoles vidéo de poker et de blackjack à la bande-son criarde dédiée à l’argent
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