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Noir Tango

Noir Tango

Titel: Noir Tango Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Régine Deforges
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tuerai…
    — Toujours se venger… toujours tuer…
    — Toujours, je l’ai juré cet après-midi
sur sa tombe.
    — Cet après-midi ?… il a été
enterré sans moi ?…
    — C’est Samuel qui l’a voulu, en disant
que cela aurait été aussi le désir de Daniel.
    Il y eut un long silence.
    — Allô, tu es toujours là ?…
    — Oui… j’aurais voulu parler à François.
    — Il est parti pour Mendoza tout de
suite après l’enterrement.
    — Il n’a rien dit pour moi ?
    — Si, il a laissé une lettre que je
déposerai tout à l’heure.
    — Non, je viens la chercher.
    Léa trouva Sarah
amaigrie et vieillie ; ses courts cheveux noirs ne rajeunissaient plus son
visage. Elle était vêtue d’un ensemble blanc qui accentuait l’aspect terreux de
ses joues. Elle eut cependant un mouvement de joie en voyant son amie.
    — Tu es jolie comme tout. Ta retraite
au « Plaza » t’a fait du bien.
    Léa se sentit rougir.
    — Merci, je vais mieux. Que fait
François à Mendoza ?
    — Il est là-bas à titre officiel. Il
faut bien donner de la vraisemblance à notre présence ici.
    — Quand rentre-t-il ?
    — Dans trois ou quatre jours. Je suis
invitée demain par Eva Perón à un thé en compagnie des dames de la Fondation
Eva Perón. C’est une société de bienfaisance que la présidente a créé pour se
venger de la société des Dames de la Charité, Cette société dont font partie
toutes les femmes de l’aristocratie porteña , fort riche, a évincé de la
présidence honoraire la belle Eva bien que, par tradition, ce titre revînt à la
femme du président. Les senoras portenas n’ont jamais accepté de la
recevoir. Viens avec moi, le temps me paraîtra moins long.
    — Qu’irai-je faire là-bas ?
    — Me tenir compagnie et surtout, faire
en sorte que l’on nous croie proche de Perón. Cela peut nous être utile un jour.
    — Comme tu voudras.
    Dans le taxi qui
la ramenait à l’hôtel, Léa lut la lettre de son amant :
    Ma belle chérie,
    Ces jours passés loin de toi m’ont paru
une éternité. Je ne vis plus depuis que tu es ici. Sans cesse j’ai peur qu’il
ne t’arrive quelque chose. Jamais je n’ai éprouvé autant de craintes pour
quelqu’un ; je suis comme paralysé. Cela me met hors de moi. Je t’en
supplie une nouvelle fois, mon bel amour, quitte l’Argentine, retourne en
France et attends-moi à Montillac. Là-bas est ta place, non dans ce climat de
violence et de haine. Tu es faite pour la vie, pour l’amour, tu n’es que
lumière. Ne te laisse pas entraîner par des sentiments qui ne sont pas les
tiens. Il y a en toi un vrai bon sens ; tu es faite pour les choses
aimables et tendres et ici, je ne puis t’offrir que l’insécurité et, qui sait, peut-être
la mort. Pour t’arracher à ce pays, je suis prêt à tout abandonner, laisser nos
amis se perdre dans cette boue… Je sais que cela te choque mais pars, mon amour…
et si tu ne veux pas partir toute seule, je partirai avec toi. Je t’aime.
    François.
    C’est vrai qu’il
devait l’aimer pour lui écrire une lettre pareille, lui l’homme d’honneur, le
combattant intransigeant. Elle ne pouvait accepter sa proposition, son
engagement auprès de Sarah avait quelque chose d’irrémédiable, de sacré. Elle
ne lui aurait pas pardonné de trahir, même par amour pour ses engagements.
    Ernesto avait donné rendez-vous à Léa au
cimetière de la Chacaritas devant la tombe de Carlos Gardel.
    — Comment la trouverai-je ? avait-elle
demandé.
    — N’importe quel gardien te l’indiquera,
avait-il répondu.
    En effet, Léa avait trouvé l’endroit
facilement. Sur la tombe se dressait une grande statue de bronze du célèbre
chanteur de tango, une main dans la poche de son pantalon, l’autre tenant… une
cigarette allumée, dont la fumée bleue montait dans la chaleur de l’après-midi.
Cette cigarette allumée étonna beaucoup Léa.
    — C’est la coutume ici que d’offrir au
grand Gardel une cigarette. Tu veux lui en donner une ?
    Aidée par son compagnon, Léa glissa entre
les doigts de bronze une nouvelle cigarette allumée.
    À cette heure de la journée, il y avait très
peu de monde dans le cimetière, aussi l’attention de Léa fut-elle attirée par
une femme en grand deuil, escortée de deux hommes. Pas de doute possible, l’un
d’eux était Barthelemy. Alors ?… cette femme ?… ce ne pouvait être
que Rosa Schaeffer. Il fallait absolument ne pas la perdre de

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