Nord et sud
Mrs Thornton. Quelqu’un
veut-il aller chercher le docteur ?
— Pas moi, Madame, je vous en prie, supplia Jane avec un
mouvement de recul. Il risque d’y avoir encore de la canaille dans les rues ;
je ne crois pas que la coupure soit très profonde, Madame, d’après ce que je vois.
— Je ne veux courir aucun risque. Elle a été blessée dans
notre maison. Si vous êtes une poltronne, Jane, moi pas. J’y vais.
— S’il vous plaît, Madame, laissez-moi demander à quelqu’un
de la police. Il y a des policiers partout et des soldats aussi.
— Et pourtant, vous avez peur de sortir ! Je ne veux
pas leur faire perdre leur temps en leur demandant d’aller faire nos commissions.
Ils auront bien assez de besogne sur les bras à attraper les fauteurs de trouble.
Vous n’aurez pas peur en restant dans cette maison et en bassinant le front de
Miss Hale, j’espère ? lança-t-elle avec mépris. Je serai de retour dans
dix minutes au plus.
— Mais ne pourrait-on demander à Hannah d’y aller, Madame ?
— Pourquoi Hannah ? Pourquoi pas vous ? Non, Jane.
Si vous n’y allez pas, c’est moi qui y irai.
Mrs Thornton alla d’abord dans la chambre où elle avait
laissé Fanny étendue sur le lit. Celle-ci sursauta à l’entrée de sa mère.
— Oh, maman, vous m’avez fait si peur ! J’ai cru que
vous étiez un homme qui s’était introduit dans la maison.
— Ne dis pas de bêtises ! Tous les hommes sont partis.
Il y a des soldats partout, qui cherchent à faire leur travail maintenant qu’il
est trop tard. Miss Hale est sur le divan du salon, sérieusement blessée. Je
vais chercher le docteur.
— N’y allez pas, maman, vous allez vous faire tuer.
Elle se cramponna à la robe de sa mère, et Mrs Thornton
se dégagea sans ménagements.
— Trouve-moi donc quelqu’un pour y aller. Je ne veux pas
que cette fille se vide de son sang.
— Son sang ? Mais c’est horrible ! Comment a-t-elle
été blessée ?
— Je n’en sais rien, je n’ai pas eu le temps de le demander.
Descends à son chevet, Fanny, et tâche de te rendre utile. Jane est avec elle. Je
pense que c’est moins grave que cela n’en a l’air. Cette poltronne de Jane a refusé
de sortir ! Alors, puisque je ne veux pas essuyer d’autres refus de la part
de mes domestiques, j’y vais moi-même.
— Mon Dieu, mon Dieu ! gémit Fanny en pleurant.
Elle se prépara à descendre, préférant encore ne pas rester seule,
à ruminer sur les dangers de blessures et d’effusions de sang dans sa propre maison.
— Oh, Jane, demanda-t-elle en se glissant dans le salon,
que se passe-t-il ? Miss Hale est blanche comme un linge ! Comment
a-t-elle été blessée ? Ont-ils lancé des pierres dans le salon ?
Margaret était en effet toute blanche et défaite, bien qu’elle
commençât à reprendre connaissance. Mais son évanouissement l’avait laissée étourdie,
nauséeuse, et encore affreusement faible. Elle avait eu conscience du mouvement
autour d’elle, et senti la fraîcheur de l’eau de Cologne : elle aurait voulu
que l’on continue de lui bassiner les tempes ; mais quand la conversation cessa,
elle ne pouvait pas plus ouvrir les yeux ou demander qu’on lui applique d’autres
compresses que les victimes de transes cataleptiques ne sont capables de bouger
ou d’émettre un son afin de demander qu’on arrête les préparatifs pour leurs funérailles,
alors qu’elles sont pleinement conscientes, non seulement de ce qui se passe autour
d’elles, mais des raisons de cette activité.
Jane s’arrêta d’appliquer une compresse pour répondre à la question
de Miss Thornton.
— Il ne lui serait rien arrivé, Miss, si elle était restée
dans le salon, où elle était montée avec nous ; nous étions dans la soupente
du devant, et nous pouvions observer sans risque ce qui se passait.
— Où était-elle, alors ? s’enquit Fanny, qui se rapprochait
peu à peu, à mesure qu’elle s’habituait à la pâleur de Margaret.
— Juste devant la porte d’entrée, avec le maître !
répondit Jane d’un ton entendu.
— Avec John ! Avec mon frère ! Comment est-elle
arrivée là-bas ?
— Ah, Miss, ce n’est pas à moi de le dire, répondit Jane
avec un mouvement de tête impatient. Sarah a...
— Sarah a quoi ? insista Fanny, dont la curiosité était
piquée au vif.
Jane se remit à bassiner les tempes de Margaret, comme si elle
n’était pas disposée à répéter ce que
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