Nord et sud
était trop honnête pour
faire une promesse qu’elle n’avait pas l’intention de tenir ; or elle savait
que témoigner des bontés à Margaret, qu’elle détestait plus que jamais en ce moment,
lui serait difficile, sinon impossible.
— Je vous promets, dit-elle d’une voix grave et sévère,
qui inspira finalement confiance à la mourante, comme si cette promesse était plus
stable que la vie même, cette vie vacillante, ténue et tremblotante, je vous promets
que si Miss Hale rencontre quelque difficulté...
— Appelez-la Margaret, dit Mrs Hale dans un souffle.
— Et que si elle vient me demander mon aide, je ferai tout
ce qui sera en mon pouvoir pour l’assister, comme si elle était ma propre fille.
Je promets également que si je la vois un jour commettre ce qui, à mon sens, est
une mauvaise action...
— Mais Margaret ne commet jamais de mauvaise action... pas
volontairement, en tout cas, plaida Mrs Hale.
Mrs Thornton poursuivit sur sa lancée, comme si elle n’avait
pas entendu.
— Si je la vois faire quelque chose que j’estime répréhensible
– à condition que cela ne concerne ni les miens ni moi-même, auquel cas, on pourrait
penser que j’agis par intérêt –, je l’en avertirai aussi loyalement et franchement
que j’aimerais voir ma propre fille avertie.
Il y eut un long silence. Mrs Hale sentait que cet engagement
ne recouvrait pas tout ce qu’elle eût souhaité ; mais qu’il était cependant
sérieux. Il s’assortissait de réticences qu’elle ne comprenait pas ; il est
vrai qu’elle se sentait faible, fatiguée, et étourdie. Quant à Mrs Thornton,
elle repassait dans son esprit tous les cas où elle s’était engagée à intervenir.
Elle éprouvait une satisfaction féroce à l’idée de dire à Margaret des vérités qui
la blesseraient sous couvert d’accomplir son devoir. Mrs Hale fut la première
à reprendre la parole.
— Je vous remercie. Que Dieu vous bénisse. Je ne vous reverrai
plus dans ce monde-ci. Mais mes derniers mots sont pour vous remercier de la promesse
que vous avez faite de témoigner vos bontés à ma fille.
— Il ne s’agit pas de bontés ! rectifia Mrs Thornton,
jusqu’au bout plus soucieuse d’exactitude que de civilité.
Ayant soulagé sa conscience par ces mots, elle ne fut néanmoins
pas fâchée que Mrs Hale ne les eût pas entendus. Après avoir serré la main
douce et inerte de la malade, elle se leva et sortit de la maison sans avoir rencontré
personne.
Pendant que Mrs Hale et Mrs Thornton étaient ensemble,
Margaret et Dixon se concertaient sur la meilleure façon de cacher à tous la visite
de Frederick, afin que le secret fût parfaitement gardé. Une lettre de lui arriverait
d’un jour à l’autre à présent ; après quoi, il ne tarderait sans doute guère.
Il fallait expédier Martha chez elle ; Dixon devait jouer les sentinelles à
la porte d’entrée et ne laisser pénétrer dans la maison que les rares visiteurs
qui venaient voir Mrs Hale, la maladie de celle-ci lui fournissant une excellente
excuse. Si Mary Higgins était engagée pour aider Dixon à la cuisine, elle devrait
voir et entendre Frederick le moins possible ; et si l’on avait besoin de parler
de lui, on l’appellerait alors Mr Dickinson. Mais la meilleure garantie de
sécurité en l’occurrence était la lenteur d’esprit de Mary et son absence de curiosité.
On décida que Martha quitterait la maison l’après-midi même pour
aller voir sa mère. Margaret regrettait qu’elle ne fût pas partie la veille, car
elle craignait que ce congé donné à une domestique au moment où la santé de sa maîtresse
exigeait deux fois plus de soins ne fût jugé étrange.
Pauvre Margaret ! Tout l’après-midi, elle fut obligée de
faire preuve d’un courage digne d’une fille de Rome, et de puiser dans le peu d’énergie
qui lui restait la force de soutenir son père. Entre deux attaques de la maladie
de sa femme, Mr Hale avait voulu espérer envers et contre tout ; chaque
fois qu’elle connaissait un peu de répit, il se persuadait que c’était là le début
de sa guérison finale. Si bien que lorsque survinrent les crises douloureuses, chacune
plus grave que la précédente, elles provoquèrent chez lui de nouvelles angoisses
et de nouvelles déceptions. Cet après-midi-là, incapable de supporter la solitude
de son bureau, ou d’avoir une activité quelconque, il s’installa dans le salon,
la tête enfouie dans
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