Nord et sud
radoucit aussitôt. Elle était venue parce que son fils le lui avait demandé comme
un service personnel, mais avec toute l’orgueilleuse rancœur de sa nature, révoltée
contre cette famille à laquelle appartenait Margaret. Elle ne croyait guère à la
maladie de Mrs Hale ; elle ne croyait guère non plus que ses désirs fussent
autre chose que les caprices du moment, qui l’obligeaient, elle, pour les satisfaire,
à renoncer au programme qu’elle s’était fixé pour la journée. Elle avait déclaré
à son fils qu’elle regrettait que ces Hale fussent jamais venus s’établir près de
chez eux, qu’il eût jamais fait leur connaissance, et qu’on eût jamais inventé des
langues aussi inutiles que le latin et le grec. Il écouta ses discours sans répondre ;
mais quand elle eut terminé sa diatribe contre les langues mortes, il lui répéta
de façon aussi concise que ferme qu’il souhaitait qu’elle rendît visite à
Mrs Hale à l’heure prévue, qui devait être la plus commode pour la malade.
Mrs Thornton se soumit de fort mauvaise grâce au désir de son fils, mais ne
l’en estima que plus de l’avoir formulé. Et elle s’exagéra l’idée qu’il entretenait
lui-même de sa propre générosité en continuant à prodiguer ses attentions à la famille
Hale.
Les pensées de Mrs Thornton se concentraient sur la bonté
de son fils, qui confinait à la faiblesse (comme, à ses yeux, toutes les vertus
aimables), le mépris où elle tenait Mr et Mrs Hale, ainsi que son antipathie
marquée pour Margaret. Mais lorsqu’elle perçut l’ombre sinistre de l’ange de la
mort aux ailes déployées, elle en fut anéantie. Devant elle gisait Mrs Hale,
une mère comme elle, une femme beaucoup plus jeune, sur un lit d’où il n’y avait
aucun espoir qu’elle se relevât jamais. Pour elle, dans cette chambre aux rideaux
tirés, il n’existait aucune différence entre le jour et la nuit ; plus de liberté
d’action ; presque plus de mouvement ; seulement l’alternance discrète
de paroles chuchotées et de silences étudiés ; et pourtant, cette vie monotone
paraissait presque trop fatigante ! Lorsque Mrs Thornton, robuste et pleine
de santé, entra dans la chambre, Mrs Hale ne bougea pas, bien que son expression
indiquât clairement qu’elle savait qui se trouvait là. Mais pendant une minute ou
deux, elle garda les yeux fermés. Lorsqu’elle les leva vers sa visiteuse, des larmes
mouillaient ses cils ; elle fit glisser à tâtons sur les draps sa main faible
vers les grands doigts vigoureux de Mrs Thornton, et dit d’une voix si basse
que celle-ci dut abandonner son maintien raide et se pencher pour l’entendre :
— Margaret... Vous avez une fille... Ma sœur est en Italie.
Mon enfant va se trouver sans mère dans un lieu étranger pour elle... Si je meurs,
voulez-vous... ?
Son regard voilé et vagabond se fixa avec une intensité suppliante
sur le visage de Mrs Thornton, qui garda quelques instants sa rigidité austère
et impassible. Si les yeux de la malade n’avaient été obscurcis par les larmes,
elle eût pu voir un nuage sombre passer sur les traits froids. Et ce ne fut ni la
pensée de son fils, ni celle de sa fille Fanny qui ébranla enfin son cœur, mais
un souvenir revenu brutalement, évoqué par quelque détail dans la disposition de
la pièce, le souvenir d’une petite fille, morte en bas âge bien des années auparavant.
Ce fut ce souvenir qui, tel un rayon de soleil soudain, fit fondre la croûte de
glace sous laquelle se cachait en fait une âme tendre.
— Vous voudriez que je sois un soutien pour Miss Hale,
dit Mrs Thornton de sa voix mesurée qui ne s’était pas mise au diapason de
son cœur et qui résonna dans la pièce, claire et distincte.
Mrs Hale, les yeux toujours rivés sur le visage de
Mrs Thornton, pressa la main posée sous la sienne, sur le couvre-lit. Elle
était incapable de parler. Mrs Thornton soupira et reprit :
— Je serai pour elle une amie sincère si les circonstances
l’exigent. Pas une amie tendre. Cela, je ne puis l’être. (elle faillit ajouter « pour
elle », mais s’en abstint en voyant le visage anxieux et ravagé). Il n’est
pas dans ma nature de manifester de l’affection, même lorsque j’en éprouve ;
et je répugne en général à donner des conseils. Cependant, puisque vous me le demandez,
si cela doit vous être de quelque réconfort, vous avez ma parole.
Elle marqua une pause. Mrs Thornton
Weitere Kostenlose Bücher