Nord et sud
vous
sinon. Je ne sais pas trop, parce qu’il est tout drôle.
— Faites-le donc monter, Dixon. Comme cela, il nous verra
tous les deux, et il choisira son interlocuteur.
— Très bien, Monsieur. Ce n’est pas que j’ai envie de savoir
ce qu’il veut vous raconter, mais si vous voyiez ses chaussures, je suis sûre que
vous trouveriez que sa place est à la cuisine.
— Je suppose qu’il les essuiera, ses chaussures, dit
Mr Hale.
Sur quoi, Dixon repartit avec humeur et pria Higgins de monter.
Elle se radoucit cependant un peu en le voyant regarder ses pieds d’un air hésitant ;
il s’assit sur la première marche pour ôter le corps du délit et, sans un mot, monta
l’escalier déchaussé.
— Serviteur, Monsieur, fit-il en lissant ses cheveux lorsqu’il
entra dans la pièce. Vous voudrez bien m’excuser d’être en chaussettes, ajouta-t-il
en regardant Margaret. C’est que j’ai couru toute la journée, et les rues sont pas
trop propres.
Margaret remarqua qu’il n’avait pas son comportement habituel
et mit sur le compte de la fatigue son calme et sa pondération inaccoutumés ;
de plus, il avait manifestement du mal à formuler ce qu’il était venu dire.
La sympathie dont Mr Hale faisait toujours preuve devant
les timides, les hésitants et les honteux, le poussa à venir en aide au visiteur.
— Nous allons faire monter du thé, et vous en prendrez une
tasse avec nous, monsieur Higgins. Vous devez être fatigué, après avoir passé la
journée dehors, d’autant que le temps est humide et débilitant. Ma petite Margaret,
peux-tu accélérer un peu les choses ?
Margaret ne pouvait accélérer les choses qu’en s’occupant elle-même
de préparer le thé ; ce faisant, elle vexa Dixon, que le chagrin où elle était
depuis la mort de sa maîtresse rendait extrêmement irritable et susceptible. Mais
Martha, comme tous ceux qui côtoyaient Margaret – et même Dixon elle-même, en fin
de compte – était heureuse et fière de faire ce que lui demandait sa jeune maîtresse ;
son zèle ainsi que la patience de Margaret, eurent bientôt raison de la mauvaise
humeur de Dixon.
— Pourquoi vous vous obstinez, Monsieur et vous, à faire
monter au salon les gens du commun depuis que nous sommes arrivés à Milton, franchement,
j’ai du mal à le comprendre. À Helstone, personne n’allait plus loin que la cuisine.
Et il y en a un ou deux à qui j’ai bien fait sentir que même ça, c’était un honneur.
Higgins sembla trouver plus facile de confier ce qu’il avait
sur le cœur à une personne plutôt qu’à deux. Dès que Margaret fut sortie de la pièce,
il s’assura que la porte était fermée, puis se rapprocha de Mr Hale.
— Monsieur, vous ne devinerez jamais ce qui m’a fait courir
toute la journée. Surtout si vous vous souvenez de ce que je vous ai causé hier.
Eh bien j’ai cherché de l’ouvrage. C’est la vérité vraie. J’ai pensé : je vais
tenir ma langue, même si on me dit des sottises. Et ma langue, je me la mordrai
plutôt que de parler sans réfléchir. J’ai fait ça pour l’autre, vous me comprenez,
dit-il en indiquant du pouce une certaine direction.
— Ma foi non, répondit Mr Hale en voyant que Higgins
attendait une forme d’assentiment de sa part, et ne comprenant pas du tout qui « l’autre »
pouvait bien désigner.
— Celui qu’est couché là-bas, dit Higgins avec un nouveau
signe du pouce, celui qu’est allé se noyer, le malheureux. Jamais j’aurais cru qu’il
aurait le cran de rester sans bouger à attendre que l’eau le recouvre et le fasse
crever. C’est de Boucher que je cause.
— Oui, maintenant, je comprends, dit Mr Hale. Reprenez
ce que vous disiez. Vous vouliez éviter de parler sans réfléchir...
— Oui, c’est pour lui que j’ai fait ça. Enfin, pas vraiment
pour lui, parce que là où il est maintenant, le froid et la faim lui font plus rien ;
mais c’est à sa femme et ses petiots que je pense.
— Dieu vous bénisse, s’exclama Mr Hale en se levant ;
puis se reprenant, il demanda d’une voix entrecoupée : Que voulez-vous dire
au juste ? Racontez-moi tout.
— Mais je vous l’ai dit, répliqua Higgins, un peu surpris
en voyant l’agitation de Mr Hale. Jamais j’aurais demandé de l’ouvrage pour
moi tout seul ; mais ceux qui restent, ils sont à ma charge. S’il m’avait écouté,
je crois pas qu’il aurait fini comme ça ; mais vu que c’est à cause de moi
qu’il a
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