Nord et sud
vivement
Mrs Thornton. Cela nous importe fort peu en effet, surtout à toi, après ce
qui s’est passé. Mais vois-tu, j’ai fait une promesse à Mrs Hale. Je lui ai
promis de ne pas laisser sa fille s’engager sur une mauvaise voie sans la conseiller
et m’efforcer de lui faire entendre raison. Je lui dirai assurément ce que je pense
de sa conduite.
— Je ne vois rien de répréhensible à sa conduite de ce soir-là,
dit Mr Thornton, qui se leva pour s’approcher de sa mère, et se poster près
de la cheminée, le visage tourné vers le feu.
— Tu n’aurais pas aimé que l’on vît Fanny dehors en compagnie
d’un jeune homme après la tombée du jour dans un endroit plutôt désert. Et je ne
parle pas de l’inconvenance qu’il y avait à aller se promener là-bas alors que sa
mère n’était pas encore mise en terre. Aurais-tu aimé que ta sœur ait été remarquée
dans de telles circonstances par un commis d’épicier ?
— Pour commencer, il n’y a pas tant d’années que j’étais
moi-même commis de drapier, et ce n’est pas le fait d’être observée par un commis
d’épicerie qui change à mes yeux la nature de l’action. En second lieu, je vois
une très grande différence entre Miss Hale et Fanny. J’imagine que la première
a de sérieuses raisons, qui ont pu la pousser – et c’est sans doute ce qui s’est
produit – à passer outre à une apparence d’inconvenance dans sa conduite. Fanny,
que je sache, n’a jamais eu de sérieuses raisons pour faire quoi que ce soit. Ce
sont les autres qui assurent sa protection, tandis que Miss Hale, je le crois,
se protège toute seule.
— Voilà un joli portrait de ta sœur ! Vraiment, John,
on aurait pu croire que Miss Hale en avait assez fait pour que tu voies clair
dans son jeu. Par une manifestation audacieuse de dévouement pour toi, elle t’a
poussé à lui offrir ta main pour pouvoir ensuite te mettre en concurrence avec ce
très jeune homme, j’en suis certaine. Sa conduite me paraît fort claire à présent.
Tu penses qu’il s’agit de son amoureux, je suppose que tu en as convenu.
Il tourna vers sa mère un visage gris et contracté.
— Oui, maman. Je crois que c’est son amoureux.
Ayant dit ces mots, il reprit sa position, mais sans pouvoir
tenir en place, comme s’il était tenaillé par la souffrance physique. Il posa son
visage sur le dos de sa main, mais avant qu’elle ait pu répondre, il se retourna
vivement :
— Maman, j’ignore qui il est, mais c’est son amoureux ;
et il se peut qu’elle ait besoin de l’aide et des conseils d’une femme. Peut-être
est-elle en butte à des difficultés et à des tentations que j’ignore. Je le redoute.
Je ne veux pas les connaître ; mais vous qui avez toujours été pour moi une
bonne mère, que dis-je, une mère tendre, allez la trouver, faites en sorte qu’elle
se confie à vous, et conseillez-la sur la meilleure conduite à adopter. Je sais
qu’il se passe quelque chose de grave, qu’elle a de bonnes raisons d’être inquiète,
et que cela doit lui être une véritable torture.
— Pour l’amour du ciel, John ! s’exclama sa mère, maintenant
fort choquée, que veux-tu dire ? Que sais-tu ?
Il ne répondit pas.
— John, si tu ne me dis rien, comment puis-je savoir à quoi
m’en tenir ? Tu n’as pas le droit de lancer des insinuations pareilles à son
encontre.
— Je n’ai rien dit contre elle, maman. J’en serais incapable.
— Eh bien, tu n’as pas le droit de lancer pareilles insinuations,
à moins d’en dire plus long. Ce sont ces remarques à demi-mot qui détruisent la
réputation d’une femme.
— Sa réputation ! Maman, vous n’oserez tout de même
pas...
Il se retourna pour lui faire face, les yeux étincelants. Puis
il se redressa avec calme et dignité et déclara :
— Je n’ajouterai rien à ce que j’ai dit, qui est la stricte
vérité, et je suis sûr que vous me croyez. J’ai de bonnes raisons de penser que
Miss Hale se trouve dans l’embarras et la détresse, à cause d’un attachement
qui en lui-même, d’après ce que je sais d’elle – est parfaitement innocent et convenable.
Quant à mes raisons, je refuse de vous les dévoiler. Mais que je n’entende jamais
personne dire contre elle un seul mot porteur d’imputations calomnieuses. La seule
chose qu’on puisse dire, c’est qu’elle a besoin des conseils d’une femme douce et
bonne. Vous avez promis à Mrs Hale d’être
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