Nord et sud
toujours caché par ses mains, dont
les doigts étaient baignés de larmes. Mrs Thornton se radoucit un peu à cette
vue.
— Allons, Miss Hale, j’admets qu’il peut y avoir certaines
circonstances atténuant l’apparente inconvenance de votre conduite.
Toujours pas de réponse. Margaret se demandait quoi dire ;
elle souhaitait conserver la considération de Mrs Thornton, mais ne pouvait
ni ne souhaitait lui fournir d’explications. Mrs Thornton s’impatienta.
— Je serai navrée de rompre les relations avec vous ;
mais dans l’intérêt de Fanny – comme je l’ai dit à mon fils, si Fanny avait agi
de la sorte, nous en éprouverions une grande honte ; et Fanny pourrait se trouver
entraînée...
— Je ne puis vous donner aucune explication, dit Margaret
d’une voix étouffée. J’ai en effet commis une erreur, mais sans rapport avec ce
que vous savez ou ce que vous imaginez. Je pense que Mr Thornton me juge avec
plus d’indulgence que vous – elle eut le plus grand mal à empêcher ses larmes de
l’étouffer – mais je crois, madame, que vos intentions sont bonnes.
— Je vous en sais gré, dit Mrs Thornton en se redressant.
Je ne pensais pas qu’on pût les mettre en doute. C’est la dernière fois que j’interviendrai.
Lorsque votre mère m’a demandé de le faire, j’ai accepté avec réticence. Je voyais
d’un mauvais œil l’attachement de mon fils pour vous, alors même que je ne faisais
qu’en soupçonner l’existence. Vous ne me paraissiez pas digne de lui. Mais quand
vous vous êtes compromise au moment de l’émeute en vous exposant aux commentaires
des domestiques et des ouvriers, j’ai eu le sentiment que je ne devais plus m’opposer
au désir qu’avait mon fils de vous demander en mariage, désir qu’au demeurant il
avait toujours nié avant le jour de l’émeute.
Margaret tressaillit et prit une inspiration si longue et contrôlée
que l’air siffla dans ses narines, mais Mrs Thornton n’y prêta aucune attention.
— Lorsqu’il est venu vous trouver, vous aviez apparemment
changé d’avis. Je lui ai dit hier qu’il était possible à mon sens qu’entre ces deux
moments, si rapprochés qu’ils fussent, vous ayez appris sur votre autre prétendant
quelque chose qui...
— Quelle opinion avez-vous donc de moi, madame ? demanda
Margaret, qui rejeta la tête en arrière avec un dédain tel que son cou se recourba
comme celui d’un cygne. N’ajoutez rien, Mrs Thornton. Je refuse de dire un
seul mot pour me disculper. Permettez-moi de quitter cette pièce.
Et elle sortit avec la grâce silencieuse d’une princesse offensée.
Mrs Thornton avait naturellement assez d’esprit pour sentir le ridicule de
sa situation ; il ne lui restait plus qu’à partir. Elle n’était pas autrement
choquée par le comportement de Margaret. La jeune fille ne comptait pas suffisamment
à ses yeux pour cela. Elle avait pris ses reproches aussi à cœur qu’elle l’avait
espéré, et sa réaction indignée avait apaisé la colère de sa visiteuse bien plus
que n’aurait pu le faire le silence ou la réserve, car elle montrait combien ses
paroles avaient porté. « Ah, ma petite demoiselle, on a du tempérament !
Si John et vous vous étiez mariés, il aurait eu fort à faire pour vous serrer la
bride et vous faire rester à votre place. Mais je parie que vous ne recommencerez
pas de sitôt à vous promener avec votre galant à une heure pareille. Vous avez trop
de caractère et de fierté pour cela. Cela me plaît de voir une jeune fille monter
sur ses grands chevaux à l’idée qu’on puisse jaser sur elle. Cela montre qu’elle
n’est ni téméraire ni effrontée de nature. Quant à celle-ci, elle est peut-être
téméraire, mais certainement pas effrontée. Je lui rendrai cette justice. Fanny,
en revanche, serait plus volontiers effrontée que téméraire. Elle n’a aucun courage,
la pauvre petite ! »
La matinée ne fut pas aussi satisfaisante pour Mr Thornton
que pour sa mère. Elle au moins accomplissait la tâche qu’elle s’était fixée. Quant
à lui, il s’efforçait de comprendre où il en était au juste et les dommages que
la grève avait entraînés pour ses affaires. Une partie importante de son capital
était immobilisée par l’achat de machines nouvelles et coûteuses. Il avait aussi
acheté du coton en abondance, pour fabriquer des tissus qu’on lui avait commandés
en grande quantité. La grève l’avait terriblement
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