Nord et sud
tante de la gare. Ses paupières frémirent, ses lèvres se
colorèrent et tremblèrent. Mr Bell descendit accueillir l’arrivante, et quand
ils montèrent, Margaret s’était levée, essayant de garder son équilibre bien que
tout tournât autour d’elle. En voyant sa tante, elle se jeta dans les bras tendus
pour la recevoir et ce fut sur son épaule qu’elle goûta pour la première fois le
réconfort éperdu des larmes.
Mr Bell quitta discrètement la pièce et descendit dans le
bureau, où il demanda qu’on allumât un feu, puis essaya de se changer les idées
en examinant les livres et en les prenant entre ses mains. Chaque volume lui évoquait
son vieil ami. Peut-être cela représentait-il un changement d’activité, après ces
deux jours passés à veiller Margaret, mais son souci restait le même. Il fut heureux
d’entendre à la porte la voix de Mr Thornton qui prenait des nouvelles, et
celle de Dixon qui reconduisait assez cavalièrement ; car, avec la femme de
chambre de Mrs Shaw étaient revenues des visions de la grandeur d’antan, du
sang des Beresford, du « rang » (comme Dixon se plaisait à l’appeler)
dont sa jeune maîtresse avait été déchue et qu’elle allait à présent retrouver,
grâce à Dieu. Ces perspectives, sur lesquelles elle s’était attardée avec complaisance
lors de ses conversations avec la femme de chambre de Mrs Shaw, dont elle soutirait
habilement tous les détails concernant l’importance et la splendeur de la vie dans
la maison de Harley Street, pour la gouverne de Martha, qui écoutait, rendaient
Dixon quelque peu hautaine dans ses rapports avec les habitants de Milton. Aussi,
bien qu’elle fût toujours assez impressionnée par Mr Thornton, lui déclara-t-elle
avec toute la sécheresse dont elle osa se montrer capable, qu’il ne pouvait voir
aucun des occupants de la maison ce soir-là. Elle eut le désagrément d’être contredite
par Mr Bell qui ouvrit la porte du bureau et cria :
— Thornton ! C’est vous ? Entrez deux minutes,
je voudrais vous parler.
Mr Thornton pénétra donc dans le bureau, et Dixon dut battre
en retraite dans la cuisine où, pour se rétablir dans sa propre estime, elle raconta
une prodigieuse histoire sur le carrosse à six chevaux de Mr John Beresford
lorsqu’il était premier représentant de la Couronne dans le comté.
— Je ne sais plus ce que je voulais vous dire. Mais ce n’est
pas drôle d’être assis dans une pièce où tout vous parle d’un ami défunt. Pourtant,
il faut bien que Margaret et sa tante disposent du salon pour s’y tenir.
— Est-ce que Mrs... Est-ce que sa tante est arrivée ?
demanda Mr Thornton.
— Arrivée, oui, avec femme de chambre et bagages. On aurait
pu imaginer qu’elle viendrait seule étant donné les circonstances ! Maintenant,
je vais devoir déménager et aller m’installer au Clarendon.
— Vous n’irez pas au Clarendon. Il y a cinq ou six chambres
inoccupées à la maison.
— Aérées ?
— Pour cela, vous pouvez faire confiance à ma mère.
— Alors, permettez-moi de faire un saut au premier pour
dire bonsoir à ma filleule et prendre congé de sa tante. Après quoi, je suis à vous.
Mr Bell passa quelque temps au premier. Mr Thornton
commençait à s’impatienter, car il était accablé de travail et avait eu du mal à
trouver un moment pour venir à la hâte à Crampton prendre des nouvelles de
Miss Hale.
Lorsqu’ils furent en route, Mr Bell expliqua :
— J’ai été retenu au salon par ces dames. Mrs Shaw
est pressée de rentrer chez elle, à cause de sa fille, dit-elle, et elle souhaite
que Margaret l’accompagne tout de suite. Mais ma filleule est à peu près aussi prête
à voyager que moi à voler. Et puis, elle dit, non sans raison d’ailleurs, qu’elle
a des amis à voir et qu’elle veut faire ses adieux à plusieurs personnes ;
alors sa tante s’est mise à la presser en faisant valoir l’ancienneté de ses droits
et de ceux de sa famille, en lui demandant si elle les oubliait. Alors Margaret
a fondu en larmes en disant qu’elle ne serait pas mécontente de quitter un endroit
où elle avait tant souffert. Quant à moi, je dois rentrer demain à Oxford. Je ne
sais pas de quel côté faire pencher la balance.
Il s’arrêta, comme s’il posait une question, mais ne reçut pas
de réponse de son compagnon, qui ne cessait de se répéter la phrase : « où
elle avait tant souffert ». Hélas ! C’était
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