Nord et sud
dernier ; seulement
deux mois avant que Frederick vienne en Angleterre et nous donne les noms de...
— Frederick en Angleterre ! Vous ne m’en avez jamais
parlé ! s’exclama Mr Bell, stupéfait.
— Je croyais que vous le saviez. J’ai toujours pensé qu’on
vous avait mis au fait. Bien entendu, cela a été gardé secret et peut-être n’aurais-je
pas dû le mentionner, dit Margaret sur un ton consterné.
— Je n’en ai jamais soufflé mot ni à mon frère ni à votre
cousine, déclara Mr Lennox d’une voix un peu sèche où transparaissait un reproche.
— Ne vous inquiétez pas, Margaret, dit Mr Bell. Je
ne vis pas dans un monde de bavardages et de commérages, ni parmi des gens qui essaient
de me tirer les vers du nez ; vous n’avez pas besoin de redouter d’avoir dévoilé
le pot aux roses à un vieil ermite fidèle tel que moi. Jamais je ne parlerai de
sa visite en Angleterre ; d’ailleurs, je n’en aurai pas la tentation car personne
ne me posera la question.
Mais attendez ! (Il s’interrompit brusquement), n’était-ce
pas au moment de l’enterrement de votre mère ?
— Il était au chevet de maman quand elle est morte, dit
doucement Margaret.
— Évidemment ! Évidemment ! Quelqu’un m’a demandé
s’il n’était pas venu à ce moment-là et j’ai nié formellement... il n’y a que quelques
semaines... qui cela peut-il bien être ? Oh, je me rappelle.
Mais il ne cita pas de nom et bien que Margaret eût donné cher
pour savoir si ses soupçons étaient fondés et si c’était Mr Thornton qui avait
posé cette question, elle ne pouvait le demander à Mr Bell, malgré le désir
qu’elle en avait.
Après quelques instants de silence, Mr Lennox s’adressa
à Margaret :
— Je suppose que puisque Mr Bell est au courant de
tous les détails concernant la regrettable situation de votre frère, je ne peux
mieux faire que lui dire exactement où en est la recherche de preuves que nous avions
espéré produire en faveur de Frederick. Aussi, s’il veut bien me faire l’honneur
de prendre le petit déjeuner avec moi demain, nous examinerons ensemble les noms
de ces individus absents.
— J’aimerais entendre tous les détails, si vous voulez bien.
Ne pouvez-vous plutôt venir ici ? Je n’ose vous inviter tous les deux pour
le petit déjeuner, encore que je sois sûre que vous seriez les bienvenus. Mais je
souhaite en savoir le plus possible sur Frederick, même s’il n’y a sans doute aucun
espoir pour l’instant.
— J’ai un rendez-vous à onze heures trente, mais si vous
le souhaitez, je viendrai assurément, répondit Mr Lennox, avec un empressement
un peu tardif, qui mit Margaret fort mal à l’aise et lui fit presque regretter sa
proposition spontanée.
Mr Bell se leva et chercha du regard son chapeau, que l’on
avait ôté de la table lorsque le thé était arrivé.
— Eh bien, dit-il, je ne sais pas ce que compte faire
Mr Lennox, mais moi, j’ai l’intention de rentrer. J’ai voyagé aujourd’hui et
après un long trajet je commence à sentir mes soixante et quelques années.
— Je pense que je vais rester pour attendre mon frère et
ma belle-sœur, déclara Mr Lennox, sans faire mine de bouger. Margaret fut saisie
d’appréhension à l’idée de rester en tête-à-tête avec lui. La scène qui s’était
déroulée sur la petite terrasse du jardin de Helstone était si présente à son esprit
qu’elle ne pouvait s’empêcher de se dire qu’il y pensait aussi.
— Ne partez pas tout de suite, Mr Bell, je vous en
prie, dit-elle précipitamment. Je voudrais que vous voyiez Edith, et qu’Edith fasse
votre connaissance. Je vous en prie ! ajouta-t-elle en posant sur son bras
une main légère mais déterminée.
Il la regarda et décela la confusion qui l’agitait ; il
se rassit, comme s’il ne pouvait résister à la légère pression de sa main.
— Voyez comme elle me subjugue, Mr Lennox, dit-il.
Et j’espère que vous avez remarqué comme elle a bien choisi ses mots : elle
voudrait que je « voie » cette cousine Edith, dont on me dit que c’est
une beauté ; mais elle a l’honnêteté de changer de terme quand il s’agit de
moi – Mrs Lennox doit me « connaître ». Je suppose qu’il n’y a rien
de bien plaisant à « voir » chez moi, n’est-ce pas, Margaret ?
Il plaisantait pour lui donner le temps de se remettre de la
légère agitation qu’il avait décelée chez elle quand il
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