Nord et sud
avait proposé de partir ;
elle prit la balle au bond et la renvoya. Mr Lennox se demanda comment son
frère le capitaine avait pu dire qu’elle avait perdu sa beauté. Assurément, vêtue
de sa simple robe noire, elle offrait un grand contraste avec Edith, qui arriva
d’un pas dansant dans ses vêtements de deuil en crêpe blanc, sa longue chevelure
dorée flottant sur ses épaules, toute en éclat suave. Elle creusa ses fossettes,
rougit de façon fort seyante lorsqu’elle fut présentée à Mr Bell, consciente
d’avoir à soutenir sa réputation de très jolie femme et de ne pouvoir tolérer qu’un
Mardochée refusât de l’admirer et de l’idolâtrer, même s’il se présentait sous la
forme d’un vieux professeur d’Université dont personne n’avait jamais entendu parler.
Mrs Shaw et le capitaine Lennox réservèrent à Mr Bell un accueil chaleureux
et spontané qui leur gagna sa sympathie presque malgré lui, surtout lorsqu’il vit
le naturel avec lequel Margaret prenait sa place comme fille de la maison et comme
sœur.
— Quel dommage que nous ayons été absents lorsque vous êtes
arrivé, déclara Edith, et vous aussi, Henry, encore que pour vous, je ne sois pas
sûre que je serais restée à la maison. Mais pour Mr Bell ! Pour le
Mr Bell de Margaret...
— Quels sacrifices n’auriez-vous pas faits ! s’exclama
son beau-frère. Même celui d’un dîner ! Et du plaisir de porter cette robe
très seyante !
Edith ne sut si elle devait se fâcher ou sourire. Mais comme
Mr Lennox n’avait aucun avantage à la pousser au premier terme de cette alternative,
il poursuivit :
— Voulez-vous prouver demain que vous êtes prête à tous
les sacrifices, d’abord en m’invitant à venir prendre le petit déjeuner ici pour
retrouver Mr Bell, et ensuite en ayant la bonté de le commander pour neuf heures
et demie au lieu de dix heures ? J’ai des lettres et des papiers à montrer
à Miss Hale et à Mr Bell.
— J’espère que Mr Bell considérera cette maison comme
la sienne pendant son séjour à Londres, dit le capitaine Lennox. Je regrette seulement
que nous n’ayons pas de chambre à mettre à sa disposition.
— Merci. Je vous suis très obligé. Si cela avait été le
cas, vous m’auriez pris pour un rustre car j’aurais décliné votre invitation, malgré
toutes les tentations qu’offre une si agréable compagnie, répondit Mr Bell
en faisant un salut à la ronde, secrètement satisfait de l’élégance avec laquelle
il avait tourné sa phrase qui, traduite en langage simple, signifiait plutôt :
« Je ne supporterais pas les contraintes d’un groupe de gens aussi convenables
et policés que ceux-ci : j’aurais l’impression de manger de la viande sans
sel. Heureusement qu’ils n’ont pas de lit. Comme j’ai bien troussé cela ! Je
suis en train de passer maître en Fart des bonnes manières. »
Il continua à se congratuler jusqu’à ce qu’il se fût éloigné
dans la rue au côté de Henry Lennox. Il se souvint alors brusquement du regard suppliant
de Margaret lorsqu’elle l’avait prié de rester, et se rappela les quelques allusions
faites longtemps auparavant par une connaissance de Henry Lennox à propos de l’admiration
qu’il vouait à Margaret.
— Vous connaissez Miss Hale depuis longtemps, je crois.
Comment l’avez-vous trouvée ? Elle m’a paru pâle et souffrante.
— Je lui ai trouvé fort bonne mine. Peut-être pas à mon
arrivée, maintenant que j’y pense. Mais lorsqu’elle s’est animée, elle m’a paru
aller aussi bien que dans mon souvenir.
— Elle a traversé de rudes épreuves, dit Mr Bell.
— Oui, j’ai été navré d’apprendre tout ce qu’elle a dû supporter ;
non seulement le chagrin habituel et universel que provoque la mort, mais aussi
la contrariété que la conduite de son père a dû lui causer, ainsi que...
— La conduite de son père ! s’exclama Mr Bell
d’un ton surpris. Vous devez être mal informé. Il s’est conduit de la façon la plus
consciencieuse qui soit. Il a montré plus de force et de résolution que je ne l’en
aurais jamais cru capable.
— Peut-être ai-je été mal informé. Mais celui qui lui a
succédé dans sa charge – un homme intelligent et sensé, et un pasteur très actif
– m’a dit que Mr Hale n’avait pas besoin d’agir comme il l’avait fait en renonçant
à son bénéfice et en prenant le risque de vivre, ainsi que sa famille, dans
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