Nord et sud
fatigués
et mal réveillés ; bien qu’il traînât en longueur, sa présence y était néanmoins
requise, car immédiatement après, on discutait des projets de la journée ;
or même si aucun ne la concernait, on s’attendait à tout le moins à ce qu’elle les
approuvât, si elle ne pouvait aider par ses conseils ; puis il y avait un nombre
considérable de mots à écrire, tâche qu’Edith lui confiait invariablement, tout
en lui faisant mille compliments sur son art de tourner un billet ; elle jouait
un moment avec Sholto lorsqu’il rentrait de sa promenade du matin, s’occupait des
enfants pendant que les domestiques prenaient leur repas ; puis venait l’heure
de la promenade en voiture ou des visites à recevoir ; ensuite, sa tante et
ses cousins sortaient, invités pour déjeuner ou pour quelque rendez-vous, ce qui
laissait Margaret libre, c’est vrai, mais l’inaction de ces journées lui pesait
d’autant qu’elle s’ajoutait à un moral déprimé et une santé délicate.
Elle attendait avec impatience, quoiqu’elle n’en parlât point,
un événement aussi modeste que le retour de Dixon : la fidèle domestique avait
jusqu’alors été fort occupée à liquider les affaires de la famille Hale à Milton.
Cette brusque interruption des nouvelles concernant des personnes parmi lesquelles
elle avait vécu si longtemps affamait véritablement le cœur de Margaret. Certes,
dans ses lettres, Dixon citait de temps à autre un avis donné par Mr Thornton
sur les dispositions à prendre à propos du mobilier, ou de la façon de traiter avec
le propriétaire de la maison de Crampton Terrace. Mais son nom ne survenait que
rarement, comme les autres noms de Milton d’ailleurs. Un soir, Margaret était assise
toute seule dans le salon des Lennox ; elle ne lisait pas les lettres de Dixon,
qu’elle tenait à la main, mais réfléchissait sur leur contenu, se remémorait les
jours passés en imaginant la vie trépidante qu’on menait toujours là-bas, sans elle,
sans personne pour la regretter. Elle aurait aimé savoir si ce tourbillon continuait
comme si son père et elle n’y avaient jamais participé, et se demandait si dans
cette foule, il y avait quelqu’un qui regrettait son absence (pas Higgins, elle
ne songeait pas à lui) lorsque soudain, on annonça Mr Bell. Margaret rangea
à la hâte les lettres dans son panier à ouvrage, rougissant comme si elle faisait
quelque chose de mal.
— Oh, Mr Bell ! Je ne m’attendais pas à vous voir !
— Mais j’espère que vous m’accueillez non seulement avec
ce joli sursaut de surprise, mais aussi avec plaisir !
— Avez-vous dîné ? Comment êtes-vous venu ? Laissez-moi
demander qu’on vous apporte de quoi vous restaurer.
— Si vous me tenez compagnie vous-même. Sinon, vous savez,
personne ne se soucie moins de manger que moi. Mais où sont les autres ? Partis
déjeuner dehors ? Ils vous ont laissée seule ?
— Oh oui ! Et c’est un tel repos. Je me disais justement...
Mais voulez-vous courir le risque de dîner ? Je ne sais pas s’il y a quelque
chose à la maison.
— Eh bien, je dois vous avouer que j’ai dîné à mon club.
Seulement, la cuisine y est moins bonne qu’avant, alors je me suis dit que si vous
vous mettiez à table, je pourrais essayer de me joindre à vous. Mais peu importe,
peu importe ! Il n’y a pas en Angleterre dix cuisinières capables d’improviser
un repas. Si leurs talents et leurs fourneaux sont à la hauteur, c’est leur humeur
qui ne le sera pas ! Faites-moi donc du thé, Margaret. Et à quoi pensiez-vous ?
Vous vous apprêtiez à me le dire. Quelles sont ces lettres, chère filleule, que
vous avez cachées si prestement ?
— Seulement celles de Dixon, dit Margaret en rougissant
comme une pivoine.
— Tiens, tiens ! C’est donc tout ? Vous ne devinerez
pas avec qui j’ai voyagé dans le train.
— Je ne sais pas, dit Margaret, bien décidée à ne pas deviner.
— Votre comment dit-on déjà ? Comment appelle-t-on
le frère de votre cousin par alliance ?
— Mr Henry Lennox ? demanda Margaret.
— En effet, répondit Mr Bell. Vous le connaissiez jadis,
non ? Quel genre d’homme est-il, Margaret ?
— Je l’aimais bien autrefois, dit Margaret, qui baissa quelques
instants les yeux.
Puis elle les releva et reprit sur un ton naturel :
— Vous savez, depuis, nous avons correspondu à propos de
Frederick, mais il y a presque trois ans que je ne
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