Nord et sud
foi que Margaret ne put
s’empêcher de faire des reproches à son compagnon tandis qu’ils revenaient lentement
du presbytère vers l’auberge.
— Ne froncez pas les sourcils, Margaret. C’est vous qui
êtes la cause de cela. Si elle ne vous avait pas montré chaque changement avec une
jubilation évidente, persuadée de l’intelligence supérieure que témoignait l’idée
qu’ils avaient eue de faire telle et telle amélioration, je me serais bien tenu.
Mais si vous devez continuer à me faire la morale, gardez vos réflexions pour après
le dîner, car elles m’endormiront et me faciliteront la digestion.
Ils étaient tous deux fatigués, et Margaret renonça même à sortir
à nouveau, alors qu’elle avait proposé de se promener dans les champs et les bois
tout proches de la maison de son enfance. Et curieusement, cette visite à Helstone
n’avait pas été tout à fait... n’avait pas été exactement ce qu’elle avait imaginé.
Il y avait partout des changements, légers, certes, mais omniprésents. Les familles
étaient modifiées par l’absence, la mort, le mariage ou les mutations naturelles
entraînées par les jours, les mois et années, qui nous mènent imperceptiblement
de l’enfance à la jeunesse, puis à l’âge adulte et à la vieillesse, d’où nous tombons
tels des fruits mûrs dans le sein de la terre, notre paisible mère. Les lieux s’étaient
transformés : ici, un arbre avait disparu, là une branche, apportant un rai
de lumière là où auparavant il n’en pénétrait pas ; une route avait été empierrée
et rétrécie, et le chemin herbu et sinueux qui la longeait était maintenant clos
et cultivé. Une grande amélioration, disait-on ; mais Margaret regrettait l’aspect
pittoresque de jadis, l’obscurité et le bord de route vert qu’elle avait connus.
Assise près de la fenêtre sur la causeuse, elle regardait d’un air mélancolique
s’épaissir les ombres de la nuit, spectacle qui s’harmonisait bien avec ses pensées.
Après les exercices inaccoutumés de la journée, Mr Bell s’était endormi profondément.
Il s’éveilla enfin à l’arrivée du plateau de thé, apporté par une jeune paysanne
aux joues rouges, qui avait manifestement été distraite aujourd’hui de son service
habituel pour aider aux travaux des champs.
— Holà ! Qui est là ? Où sommes-nous ? Qui
est-ce... ? Margaret ? Ah, mais je me souviens à présent. Je me demandais
qui était cette femme assise là dans une attitude aussi désolée, les mains croisées
sur ses genoux, et regardant si fixement devant elle. Que regardiez-vous donc ainsi ?
demanda Mr Bell, qui s’approcha de la fenêtre et se mit derrière Margaret.
— Rien, répondit-elle en se levant vivement, et répondant
d’un ton aussi gai que possible.
— Rien, dites-vous ! Un rideau d’arbres sinistre, du
linge étendu sur la Hale d’églantiers, et un grand courant d’air humide. Fermez-moi
donc cette fenêtre, et venez prendre le thé.
Margaret resta quelques instants silencieuse, jouant avec sa
cuillère, sans prêter grande attention à ce que disait Mr Bell. Il la contredisait,
mais elle lui répondait en souriant, comme s’il avait exprimé son assentiment. Puis
elle soupira, elle reposa sa cuillère et demanda sans préambule : « Mr Bell,
vous vous souvenez sans doute de ce que nous disions de Frederick hier soir ? »
Elle avait pris cette voix haut perchée qui révèle que celui qui parle songe déjà
depuis longtemps au sujet qu’il aborde.
— Hier soir ? Où étais-je ? Ah, je me souviens !
Ma foi, j’ai l’impression qu’une semaine s’est écoulée depuis. Oui, en effet, je
me souviens avoir parlé de lui, pauvre garçon.
— Oui, et vous souvenez-vous que Mr Lennox a dit qu’il
était venu en Angleterre au moment de la mort de ma chère maman ? demanda Margaret
d’une voix plus basse qu’à l’accoutumée cette fois.
— Je me souviens. Je l’ignorais jusque-là.
— Et moi je croyais, j’avais toujours cru que papa vous
en avait parlé.
— Non, jamais. Mais de quoi s’agit-il, Margaret ?
— Je voudrais vous avouer une chose très grave que j’ai
faite à cette époque, dit Margaret, levant soudain vers lui son regard clair et
honnête. J’ai dit un mensonge, ajouta-t-elle, en devenant écarlate.
— Je reconnais que ce n’est pas bien, en effet. Non que
je n’en aie moi-même fait un nombre rondelet dans ma vie, pas tous en paroles,
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