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Nord et sud

Nord et sud

Titel: Nord et sud Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Elizabeth Gaskell
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sa rencontre accidentelle, du moins à ce qu’il semblait, avec Higgins.
Une fois mis en présence d’un individu issu des masses qui les entouraient, confrontés
homme à homme, et – notez-le bien – une fois sortis de leurs rôles respectifs de
patron et d’ouvrier, ils avaient chacun commencé à se rendre compte que le cœur
humain est partout le même. C’était un premier pas ; jusqu’au jour où la crainte
de devoir renoncer à ses liens avec deux ou trois des ouvriers qu’il connaissait
depuis peu personnellement, celle de voir certains projets expérimentaux qui lui
tenaient à cœur étouffés dans l’œuf, avaient rendues plus poignantes encore les
inquiétudes qui l’assaillaient de temps à autre. Jusqu’à ce jour, il ne s’était
pas aperçu de l’intérêt profond qu’il éprouvait depuis peu pour sa position de patron
de manufacture, du simple fait qu’elle le mettait en contact étroit avec une race
d’hommes étranges, astucieux et ignorants à la fois, mais surtout, au caractère
affirmé et à l’humanité profonde, et qu’elle lui donnait sur eux une telle puissance.
    Il avait fait le bilan de sa situation de manufacturier à Milton.
La grève remontait à dix-huit mois – ou plus, car le temps était particulièrement
mauvais pour la saison, une fin de printemps. Or cette grève – qui avait eu lieu
quand il était jeune, alors qu’à présent, il ne l’était plus – l’avait empêché d’honorer
de très grosses commandes. Il avait immobilisé une grande partie de son capital
en équipement neuf et coûteux, et il avait également acheté du coton en grandes
quantités pour ses commandes. Or il n’avait pu remplir ses contrats, en partie à
cause de l’incompétence des ouvriers irlandais qu’il avait fait venir, et dont le
travail était trop imparfait pour être livré par une maison qui mettait son point
d’honneur à ne fournir que des articles de première qualité. Pendant de nombreux
mois, les inconvénients causés par la grève avaient été un obstacle aux entreprises
de Mr Thornton ; et souvent, quand son regard tombait sur Higgins, il
avait envie d’exprimer sa colère alors qu’il n’avait aucun motif de le faire, hormis
le sentiment du dommage sérieux que lui avait causé cette grève dans laquelle il
avait été impliqué. Mais lorsqu’il prenait conscience de cette bouffée de ressentiment,
il se mettait en devoir de la vaincre. Éviter Higgins ne serait pas pour lui une
solution satisfaisante ; il voulait se convaincre qu’il pouvait dominer sa
propre colère et mettait un soin particulier à laisser Higgins l’approcher toutes
les fois que le permettaient les exigences du travail ou son propre loisir. Et peu
à peu, son ressentiment disparut tant il trouvait surprenant que deux hommes comme
eux, vivant du même commerce, travaillant chacun à sa manière avec le même objectif,
pussent avoir sur leur position et leurs devoirs respectifs des vues aussi étrangement
divergentes. De là naquirent entre eux des relations qui, si elles n’avaient pas
pour effet de pouvoir empêcher tout conflit d’opinion et d’action le cas échéant,
étaient susceptibles en tout cas de permettre au patron et à l’ouvrier de se considérer
avec plus de sympathie et de charité et de se supporter avec plus de patience et
d’aménité. Outre cette amélioration de leurs sentiments réciproques, Mr Thornton
et ses ouvriers découvrirent, chacun de leur côté, qu’ils avaient ignoré des faits
connus jusqu’alors de l’autre partie seulement.
    Mais on était entré dans l’une de ces périodes où le commerce
marche mal, où la baisse du marché entraîne celle de tous les stocks importants.
Celui de Mr Thornton perdit près de la moitié de sa valeur. Aucune commande
ne venant, il perdit l’intérêt du capital investi dans l’achat de ses machines ;
il avait déjà bien du mal à se faire payer les commandes livrées, et il fallait
subvenir aux dépenses courantes qu’exigeait le fonctionnement de la manufacture.
Il reçut alors les factures du coton qu’il avait acheté. L’argent étant rare, il
fut obligé d’emprunter à un taux exorbitant, alors qu’il ne pouvait vendre aucun
de ses biens. Cependant, loin de céder au désespoir, il travailla jour et nuit à
prévoir les urgences et à ménager des solutions. Il se montra calme et prévenant
avec les femmes de sa maison ; à ses ouvriers, il parlait peu, mais

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