Nord et sud
réflexion permit à Margaret de mettre les
événements à leur place véritable, d’en voir l’origine, la signification et la portée,
dans sa vie passée comme pour l’avenir. Ces heures près de la mer ne furent pas
vaines, comme eût pu s’en apercevoir la première personne assez fine pour lire ou
essayer de comprendre l’expression que prenait peu à peu la physionomie de Margaret.
Mr Lennox fut excessivement frappé par le changement opéré.
— La mer a fait à Miss Hale un bien considérable, à
ce qu’il me semble, déclara-t-il le jour où il rejoignit le cercle familial, profitant
du premier moment où elle s’absenta de la pièce. « Elle paraît dix ans de moins
qu’à Harley Street. »
— C’est le chapeau que je lui ai trouvé ! annonça triomphalement
Edith. Dès que je l’ai vu, j’ai su qu’il lui irait à ravir.
— Je vous demande pardon, dit Mr Lennox du ton mi-indulgent,
mi-dédaigneux qu’il prenait en général pour s’adresser à Edith. Je crois connaître
la différence entre les charmes des accessoires et les charmes d’une femme. Aucun
chapeau ne pourrait rendre les yeux de Miss Hale si brillants et si doux cependant,
ses lèvres si vermeilles et son visage si paisible et lumineux à la fois. Elle est
redevenue la Margaret Hale de Helstone – et là il baissa la voix –, en mieux encore.
Dorénavant, cet homme habile et ambitieux dirigea tous ses efforts
vers la conquête du cœur de Margaret. Il aimait sa fière et douce beauté. Il percevait
l’envergure latente de son esprit qui, croyait-il, pourrait facilement être amené
à s’intéresser à tout ce qui l’intéressait lui-même. Il ne considérait sa fortune
que comme un élément de sa personnalité magnifique et de sa position, tout en ayant
parfaitement conscience qu’elle lui permettrait d’emblée à lui, pauvre avocat, de
s’élever considérablement. Il espérait conquérir les succès et les honneurs grâce
auxquels il pourrait lui rendre avec intérêt cette première avance dont il lui serait
redevable. À son retour d’Écosse, il s’était rendu à Milton pour régler des affaires
relatives aux propriétés de Margaret, et, avec l’œil exercé d’un homme de loi avisé,
toujours prêt à remarquer les perspectives et à les peser, il avait constaté que
chaque année la valeur des maisons et des terrains qu’elle possédait dans cette
ville prospère et en pleine expansion augmentait. Il était heureux de voir que ses
relations actuelles avec Margaret, celles de conseiller légal à cliente, effaçaient
peu à peu le souvenir de la malencontreuse journée à Helstone. Elles lui fournissaient
de fréquentes occasions de la voir en particulier, en dehors de celles qu’engendraient
les liens familiaux.
Margaret n’était que trop disposée à l’écouter tant qu’il parlait
de Milton, bien qu’il n’ait vu là-bas aucune des personnes qu’elle connaissait le
mieux. Si sa tante et sa cousine avaient l’habitude de parler de Milton avec aversion
et mépris, sentiments que Margaret avait honte d’avoir éprouvés et exprimés, elle
s’en souvenait, à son arrivée là-bas, Mr Lennox pour sa part allait presque
plus loin qu’elle dans son appréciation de Milton et de ses habitants. Leur énergie,
leur force, l’indomptable courage avec lequel ils luttaient pour surmonter les obstacles,
leur existence haute en couleur, tout cela captivait son attention et excitait son
intérêt. Jamais il ne se lassait d’en parler, et jamais il n’avait remarqué combien
certains des objectifs qu’ils poursuivaient par ces efforts considérables et incessants
étaient égoïstes et matérialistes, avant que Margaret, malgré le plaisir que lui
apportaient ses propos, lui eût signalé que c’était là le vice corrupteur au milieu
de tant de nobles et admirables qualités. Néanmoins, lorsque la conversation sur
d’autres sujets ennuyait Margaret, quand elle ne répondait plus que très brièvement
à de nombreuses remarques, Henry Lennox avait observé qu’une question sur une particularité
de caractère des habitants du Darkshire était un moyen sûr de faire briller son
regard et de ramener le rose à ses joues.
Lorsqu’ils regagnèrent Londres, Margaret mit à exécution l’une
des résolutions qu’elle avait formées au bord de la mer, celle de prendre sa vie
en main. Avant le départ pour Cromer, elle avait obéi aussi docilement à tous les
décrets de sa tante que
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